« Ma blonde, entends-tu dans la ville ? »
Voilà un délicieux film très reposant parce que, même si on le prend en route, si on en a raté le début, comme ce fut mon cas, l’autre soir, sur la chaîne Histoire, même si on ne connaît pas d’emblée le nom des personnages, on saisit immédiatement le fil du récit et on s’installe dans une grande tranquillité de regard, ce qui est souvent bien agréable pour le spectateur un peu las.
Le rendez-vous des quais est un film absolument, naïvement,, sculpturalement militant, du temps où le mot voulait encore dire quelque chose et où les Lendemains qui chantent étaient élevés au rang d’une foi religieuse, insusceptible de doutes, de nuances et de critiques. Même si, aujourd’hui, ce que Philippe Murray a appelé le Camp du Bien s’est constitué sur un socle de certitudes toutes issues du Politiquement correct, je doute qu’il y ait jamais, avant longtemps, la ferveur, le dévouement, l’exaltation que pouvaient ressentir les communistes occidentaux avant que le rapport Krouchtchev sur les crimes (pudiquement nommés excès) de Staline puis la répression de l’insurrection de Budapest, l’un et l’autre en 56 ne commencent à mettre la puce à l’oreille de certains.
Mais auparavant, donc, c’est la foi du charbonnier, que partage Paul Carpita, et qu’il exprime dans ce film, dont les protagonistes sont à la fois sympathiques par leur certitude d’être sur le chemin de la libération de l’Humanité et terrifiants par leur aveuglement. Ce qui est très bien, très reposant donc, c’est que tout est solidement simple : tous les ouvriers, dockers, syndicalistes, militants communistes ont de beaux visages francs ; tous les patrons, possédants, armateurs et leurs chiens de garde (policiers, gendarmes, militaires) ont de sales gueules torves. Suprême raffinement, le traître à la classe ouvrière, l’ami des patrons, le jaune a une physionomie ambiguë, une tête bizarre, qu’on identifiera vite comme celle du parfait faux jeton. Comme ça, au moins, on n’a pas à décrypter des structures alambiquées, et on sait tout de suite avec qui on se trouve.
Le cadre du film, c’est Marseille en 1950 et le mouvement des dockers contre la guerre d’Indochine, dockers qui en allaient jusqu’à saboter matériels et munitions destinés au corps expéditionnaire français en Extrême-Orient, c’est-à-dire à faire le jeu de l’ennemi. Tout cela est présenté avec une telle bonne conscience qu’on en est – sans jeu de mots – absolument désarmé. Les acteurs ne sont pas des professionnels, mais des militants et ont le jeu, les attitudes, les intonations des prédicateurs convaincus qu’ils sont, en fait. Mais c’est bien filmé, avec de larges perspectives d’esthétique industrielle sur le port de Marseille, la majesté des quais, des darses et des grues.
Interdit dès sa sortie, en 1955, le film sera sorti de l’oubli en 1990. C’est l’année où le communisme s’effondre avec la disparition de l’Union soviétique. Il n’y a pas de hasard.