Malfrats et miroton.
Déjà, dans Touchez pas au grisbi, qui est d’une plus grande dimension, ou dans Razzia sur la chnouf, on pouvait s’amuser à reluquer le côté pantouflard des gangsters des années Cinquante, leur goût du miroton ou de la daube, leur aspiration à chausser dès le soir venu des charentaises confortables (et non pas à s’abîmer la santé avec des gourgandines qui vous font coucher à pas d’heure), mais là, on atteint le sommet du genre ! La pègre boursicote et achète du Napoléon pour ses vieux jours, investit dans du pont élévateur et de l’outillage pour garage bourgeois et compte les jours qui la séparent d’une retraite paisible conçue pour taquiner le gardon et le chevesne dans la vallée de Chevreuse.
Naturellement, je m’interdis de me livrer à une nouvelle glose sur la poésie rudimentaire du Milieu et l’esprit du dernier casse avant décrochage qu’on trouve partout dans le cinéma de ces années-là, avec Gabin (Mélodie en sous-sol) ou sans lui (Bob le flambeur) …
Esprit du temps, le nombre de Tractions avant Citroën qui roulent dans Paris, l’Aronde Plein Ciel, la Dyna Panhard, le portrait, sur les murs du commissariat du Président René Coty, la dimension invraisemblable des billets de banque, les chaussures bien cirées de tous les malfrats, la fascination des femmes pour des fourrures aujourd’hui disparues (depuis combien d’années, au juste, n’ai-je pas vu un manteau d’astrakan, fourrure bouclée de jeune agneau karakul mort-né me souffle Wikipédia ?), les apéritifs disparus (Mme Bertain (Gina Nicloz), mère de Louis (Gabin) et de Pierre (Bozzuffi), au café A la bonne santé, – qui n’existe plus – devant la prison éponyme – qui n’a aucune raison de disparaître – Mme Bertain, donc, prend un Malaga ; ça pourrait être un Byrrh ou un Claquesin… ; essayez d’en trouver aujourd’hui !), les pissotières louches de Pigalle, les clopes omniprésentes (sur le cadre des flippers, il y a des dispositifs en métal ondulé pour déposer la cigarette, pendant qu’on remue la babasse)…
Gabin gabine, Frankeur frankeurise, Annie Girardot demeure confinée dans les rôles de salope vénale (L’homme aux clés d’or, Le désert de Pigalle), malfrats (Berval ou Josselin) ont la gueule de l’emploi, en soi guère différente des policiers du Quai des Orfèvres (Albert Dinan ou Gabriel Gobin)… Mais c’est du solide, de la belle ouvrage ! Et si on peut citer à juste titre la baffe remarquable assénée par Gabin à Girardot au Bois de Boulogne, on ne peut pas ne pas évoquer la claque qu’il reçoit de sa propre mère pour avoir levé la main sur son frangin. Ça n’a pas dû lui arriver souvent à l’écran (ni ailleurs, sans doute)
Tout un monde !