Et tout à fait par hasard, en zapettant paresseusement, je suis tombé sur Le salaire du péché. J’ai raté le premier quart d’heure du film, long pour l’époque (110 minutes) et il était l’heure de déjeuner, mais je me suis pris au jeu. C’est une marque de film bien fichu, d’ailleurs, que de pouvoir être pris en marche et de tenir attentif malgré les effluves de foie de veau au vinaigre de Xeres et à l’ail haché qui montaient de la cuisine (accompagné d’une écrasée de pommes de terres à l’huile d’olive, je vous conseille cette préparation ; de surcroît cet abat est plein de vitamine B12, de vitamine A, de cuivre, d’acide folique, de riboflavine, de sélénium et de fer).
Cet aperçu indiscret de ma vie gastronomique vous étant donné en pâture (hihihi !), je reviens sur un film intéressant si l’on apprécie ce type de mélodrame français de la belle époque des années Cinquante. Histoire assez noire de Jean de Charvin (Jean-Claude Pascal), sale type, journaliste minable et sans talent, affligé d’une haute quantité de vices infâmes, mais doté d’un physique séduisant et d’une élégance naturelle. Cette arsouille cynique a séduit, pour son malheur, Isabelle Lindstrom (Danielle Darrieux), fille d’un grand amateur calviniste de La Rochelle (Jean Debucourt).
Le papa Lindstrom a eu beau gronder, tonner, menacer de déshériter sa fille, le mariage s’est fait. Un enfant est né. Les relations du père et de la fille se sont à peu près normalisées, mais le gendre n’est pas admis auprès de son beau-père. Celui-ci, qui ne vit que pour son travail et son entreprise est gravement surmené et doit garder le lit. C’est l’occasion pour l’affreux Charvin de faire main basse sur le magot. Alors que le malade ne doit subir aucune émotion, aucun choc, son gendre, avec une cruelle habileté, lors d’un entretien secret et orageux et alors que toute la maisonnée est au culte protestant du dimanche, fait en sorte que la crise fatale intervienne.
Quelqu’un a surpris l’affaire : l’infirmière de Lindstrom, Angèle (Jeanne Moreau) qui devient pourtant la maîtresse de Charvin. Tout paraît aller pour le mieux; d’autant qu’Isabelle, la femme légitime, qui a pris avec fermeté et capacité les rênes de l’armement, est victime d’un grave accident de la route qui la tient éloignée du logis pendant deux mois et brûle gravement son corps. Pendant son absence les deux amants vivent à grandes guides…
Mais à son retour à la maison, Isabelle s’aperçoit des folles dépenses engagées par son mari et reprend auprès de la banque la maîtrise de sa fortune. Même si Angèle, qui paraît sérieusement aimer Charvin, lui propose de partir avec elle pour refaire une vie laborieuse, la canaille ne voit qu’une solution : tuer sa femme.
J’arrête là, sous peine de révéler toute l’intrigue. Ce n’est pas mal même si, en quelques mots, en quelques images, les choses se dénouent un peu vite. Mais c’est du bon boulot. La distribution compte quelques seconds rôles intéressants : outre Jean Debucourt déjà cité, on reconnaît Georges Chamarat et Michel Etcheverry. Darrieux et Moreau sont parfaites, comme le plus souvent. Seulement il y a Jean-Claude Pascal, à la voix et au physique trop travaillés, trop apprêtés, trop mélodieux, si l’on peut dire et qui porte trop sur son visage un air de faux-jeton pour que l’on ne voie pas d’emblée que c’est une infâme canaille. Il est vrai que c’est peut-être fait exprès et que, dans la logique du film, c’est concevable.
C’est en tout cas un spectacle attrayant et bien conçu. Un de ces multiples témoignages de ce que fut la Qualité française, tant vilipendée par la Nouvelle vague.