Il paraît que des réalisateurs aussi différents que Pascal Thomas, Maurice Pialat et même le hideux Jean-Luc Godard attachaient de l’importance au cinéma de Douglas Sirk et même, pour certains, lui vouaient une adulation singulière. Pour quelles raisons ? Le sens de l’espace, le choix des couleurs (très ou trop chatoyantes), le rythme supposé des films qui fait alterner séquences vives, voire brutales et longues plages plus calmes. De fait, je ne dis pas le contraire : Douglas Sirk est assurément un cinéaste de grande qualité technique, sachant bâtir un spectacle qui, visuellement, en met plein les yeux, dans des nuances colorées qui font songer aux belles (!!!) boîtes de chocolats qui font florès aux moments de Noël et du Jour de l’An et émerveillent les âmes simples.
Mais tout de même ! Il est vrai que Le secret magnifique était le premier film que j’aie jamais vu du metteur en scène, à la bizarre notoriété. Je n’ai pourtant rien contre le mélodrame où les héros connaissent toutes les vicissitudes possibles et imaginables et finissent par en triompher après d’infinies péripéties. C’est là une vieille recette à la solidité éprouvée, où le spectateur est invité par la logique du récit à pleurnicher avec les protagonistes et à souffrir leurs mille morts, jusqu’à ce que l’amour, la pureté, le courage et la justice finissent par l’emporter. Ce dont on est naturellement bien content.
Tout genre a néanmoins sa limite ; on veut bien frémir devant les tristes péripéties qui surviennent et frappent les héros à la mesure des bonheurs qu’ils ressentiront à la fin, lorsque tout s’arrangera. Encore faut-il qu’il y ait, ici et là, des surprises, des cheminements compliqués qui trompent et abusent : en quelque sorte on aime être, de temps en temps, un peu décontenancé, ne pas tout à fait avoir prévu, dans une séquence dramatique, ce qui va se passer dans les minutes suivantes.
D’après ce que j’ai lu, Douglas Sirk avait un peu tordu le nez lorsqu’on lui a proposé de réaliser le remake d’un film de John Stahl du même titre, tourné en 1935 sur la base d’un roman lacrymal de Lloyd C. Douglas ; il n’était pas alors le spécialiste incontesté des mélodrames étasuniens. Sans doute le succès rencontré avec Le secret magnifique lui a-t-il montré la voie : voilà du bon cinéma cousu de scénarios assez ridicules.
Car, Doux Jésus !, comme c’est bête cette histoire de la rencontre entre un médiocre et déplaisant play-boy Bob Merrick (Rock Hudson) et Helen Philips (Jane Wyman) veuve (finalement assez vite consolée) d’un grand médecin qui appliquait à la lettre la parole de l’Écriture de donner sans réserve sans jamais en faire ostentation, en conservant même le secret sur sa générosité. D’autant que pour de mesquines raisons, le play-boy est incriminé d’avoir indirectement causé la mort du médecin en étant sauvé d’un accident d’hydroscaphe par le défibrillateur que le docteur Philips conservait pour lui-même. On voit le niveau.
Bingo ! La veuve Philips, d’emblée désirée par le play-boy, est percutée, en le fuyant, par une voiture. Morte ? Non blessée seulement ! Mais aveugle inopérable, malgré le concours, le talent des grands praticiens grassement payés par le play-boy. Et ça se terminera bien, évidemment.
On m’a suivi, dans ce récit, très abrégé au demeurant ? On a eu bien du mérite ! C’est beaucoup plus simple et clair lorsqu’on voit le film et c’est précisément cela l’ennui : on sait à la première image ce que la dernière image va donner. Sauf si l’on a passé sa vie à lire les histoires édifiantes des Veillées des chaumières et autres magazines édifiants et à frémir à chaque rebondissement, on ricane à chaque séquence, à chaque avancée vers la glorieuse conclusion. C’est du cinéma pour ceux qui, en peinture, apprécient Auguste Renoir : du décoratif.