La lèpre.
Ai-je assez dit que le cinéma français des grandes époques s’est nourri de la qualité de ses comédiens ? Et lorsque autour du merveilleux Bernard Blier en premier grand rôle on trouve des acteurs épatants à foison, juste au deuxième plan comme Danièle Delorme, Jacques Riberolles, Maurice Biraud ou un peu plus lointains, Albert Rémy, Jacques Monod, Henri Crémieux, Francis Blanche, Françoise Giret et même en apparitions fugaces, Robert Dalban, Anne Doat, Jean Sylvère, vraiment on se régale.
On se doute que Francis Didelot, auteur du roman dont s’est inspiré le film a voulu un peu jouer à faire du Simenon : écrasante monotonie d’une sous-préfecture du Doubs, Pontarlier, aux rues vides dès que 7 h. sonnent, réunion quotidienne des notables après le dîner familial étouffant, juge d’instruction, vétérinaire, pharmacien, commissaire de police, percepteur, à la grande brasserie de la ville autour d’un tapis de bridge, messe dominicale, déjeuners d’été et parties de canotage sur le lac proche.
C’est précisément l’été que ça commence ; Catherine (Françoise Giret), une belle fille, une fille libre, comme on disait à l’époque, une de celles qui ne disent jamais Non, bronze demi nue dans une crique ; son amant, Sylvain Sautral (Jacques Riberolles) la quitte un instant pour aller acheter des cigarettes. Et sort à ce moment là d’une sieste digestive le pharmacien Grégoire Duval (Bernard Blier) qui s’approche, veut la toucher, la tue. C’est d’ailleurs une riche inspiration du cinéma français, les gourgandines déshabillées dans la campagne : voir Dupont Lajoie ou Canicule.
Comme souvent, on sait d’emblée qui est le coupable (c’est d’ailleurs aussi souvent le cas chez Simenon) ; c’est là que le film commence. Tout accuse l’amant de la victime, aux occupations assez floues et marginales, si peu jaloux qu’il est au courant des aventures de Catherine, qui les collectionnait et qui paraît à la bourgeoisie pontisalienne un coupable tout à fait satisfaisant. Il est vrai que dans un remake télévisé récent d’Édouard Niermans, censé se passer en juillet 1962, le présumé coupable est un Algérien, ce qui permet de coller en plus l’étiquette raciste à ladite bourgeoisie : on n’appuie jamais assez les effets politiquement corrects.
Naturellement, dans ce genre d’histoires, il ne faut pas être trop regardant avec la vraisemblance ; que le pharmacien assassin Grégoire Duval soit désigné pour être juré au procès d’assises, que ses scrupules empoisonnent dès lors son existence et qu’au grand dam de sa femme Geneviève (Danièle Delorme, presque aussi doucereuse que dans Voici le temps des assassins ; décidément grande actrice !), il s’emploie à faire acquitter le prévenu.
Tout cela est assez séduisant et supérieurement interprété ; l’ennui survient dans le dernier quart du film où le mélodrame commence à déferler et finit par envahir l’espace jusqu’au moment où le pharmacien, au consentement bourgeois de tout le monde, est interné dans un asile de fous (au fait, il n’est peut-être pas si innocent que ça, notre pharmacien/juré, mais je n’en dis pas davantage pour ceux qui apprécient les révélations finales).
Cette fin qui se veut grave et n’est que nigaude ne suffit pas à gâcher la belle ouvrage du Septième juré ; Georges Lautner n’avait pas encore les coudées assez franches dans le paysage cinématographique pour introduire davantage de sarcasme : il filme un polar de type classique qui a le mérite de se suivre avec agrément.