Le tigre du Bengale

L’Inde fantasmée.

Voilà un film merveilleux, magnifiquement réalisé, dans un chatoiement d’extraordinaires couleurs, au service d’une grande aventure haletante, passionnante, digne des meilleurs récits, des plus séduisantes bandes dessinées… Une aventure faite de stéréotypes, bien sûr, mais dont on redemande, tant on jubile de retrouver chacun à sa place, les maharadjahs richissimes, les tigres féroces, les fakirs ingénieux, l’héroïne à la fois très pure et d’une torride sensualité, le héros courageux, amoureux, infatigable et plein de ressources !

Quand chaque détail joue ainsi son rôle, dans la photogénie incontestable de l’Inde du Rajahstan, dans un monde un peu figé dans ses traditions,mais qui correspond de si près à l’image idéalisée, fantasmée en tout cas que les petits Occidentaux pouvaient avoir, il y a cinquante ans, du sous-continent, ces petits Occidentaux-là se disent que Fritz Lang ne s’est pas fichu d’eux, leur en a donné pour leur argent et davantage encore pour l’éclat de leurs yeux et de leur mémoire…

Et, de fait, il ne manque rien au tableau : politesse raffinée de souverains cruels, conspirations de palais compliquées et vénéneuses, édifices somptueux, uniformes chamarrés, obéissance absolue des serviteurs, dangers terribles, prêtres fanatiques et retors, lépreux photogéniques (scène presque aussi impressionnante que celle de Ben-Hur), poursuites échevelées, désert, soleil implacable, soif affreuse, vent de sable…

C’est violent, cruel, brutal, sans nuance, exactement comme ce genre doit être, il y a du sang, des meurtres, des épreuves redoutables, des vengeances et des rancœurs qui font qu’on s’identifie sans peine aux deux héros et qu’à la dernière image de cette première époque on se désespère pour eux, pourchassés dans le désert par les sbires du maharaja jaloux et victimes de la mort de leurs chevaux et du vent de sable… mais un opportun carton final prévient que ce Tigre du Bengale est suivi immédiatement après du Tombeau hindou dans quoi les spectateurs découvriront comment ils sont miraculeusement sauvés – et sûrement comment, à la fin, l’amour triomphe – (Youpi !).

Les acteurs sont tous allemands et donc inconnus ; tous sauf Debra Paget, qui n’est pas une bien grande star (et pour cause : selon Imdb, elle a arrêté de tourner à 30 ans !), d’une extrême beauté et dont je m’étonne que l’époustouflant érotisme de la danse sacrée qu’elle exécute ait pu passer, en 1959, les foudres de la censure… Fritz Lang filme une symphonie de couleurs et dans des partis pris expressionnistes remarquablement adaptés au sujet : ombres menaçantes, contre-plongées vertigineuses, perspectives affolantes, éclairages angoissants…

Si l’on apprécie les films d’aventure, je ne conçois pas qu’on puisse n’être pas emballé… Ça laisse loin derrière Indiana Jones et le temple maudit, plus spectaculaire, mais bien moins prenant…

Leave a Reply