J’aime assez me replonger, de temps en temps, dans ce qu’en rugby on appelle les fondamentaux : des trucs solides, vigoureux, francs, qui en donnent pour son argent. Avec Pierre Granier-Deferre on n’est que rarement déçu (par L’ami de Vincent par exemple), et on est presque certain de trouver de la belle ouvrage.
Le cinéaste n’est pas mal représenté en DVD, avec ses grands succès, mais je m’étonne toujours qu’on n’ait pas encore édité trois de ses films les plus intéressants, Paris au mois d’août, situé à l’orée de sa carrière, Cours privé et Noyade interdite, vénéneux et plutôt placés à sa décrue.
Remontons dans Le Train, lors de la fuite éperdue de l’exode, qui dans le lumineux printemps de 1940, jette sur les routes de France des millions de fuyards affolés, terrifiés par les bombardements et les mitraillages des Stukas allemands, qui firent 100.000 morts. Je n’ai en tête, des films de cette période, que le merveilleux Jeux interdits de René Clément et Bon voyage de Jean-Paul Rappeneau, qu’il faudra que je revoie, mais qui ne m’avait pas paru si sinistre que ça, simplement burlesque et un peu trop trépidant. Il est certain que la honte collective, l’humiliation de la déroute, de l’écroulement presque immédiat de l’Armée française, encore auréolée du triomphe du premier conflit, n’ont pas trop incité à mettre en scène une des périodes les plus accablantes de notre histoire nationale…
Je n’ai plus trop en mémoire le roman de Simenon dont le film est adapté, mais me souviens que l’ayant découvert bien après le film, vu et revu souvent, j’avais été surpris par de notables différences, notamment la fin, beaucoup plus accablante, puisque Julien (Marcel, dans le livre) fera mine de ne pas connaître Anna. C’est évidemment plus conforme à la nature de cet être doux, indécis, déjà rabougri, maladroit, des moins faits qui se puissent pour l’histoire qui va survenir. Mais c’est moins romanesque que la fin imaginée par Granier-Deferre et Pascal Jardin. (Je note, pour l’anecdote, que Jardin, habituel scénariste de Granier-Deferre est le fils de Jean Jardin, qui fut Directeur du Cabinet de Pierre Laval, à qui il a consacré un témoignage pieux et étrange, Le Nain jaune).
Au delà des maladresses un peu caricaturales qui sont dans le ton de l’époque du tournage (1973), avec des aristos, des riches, des bourgeois tout perclus de conscience de classe, un très bon aspect du film est la constitution du microcosme du wagon qui, par des voies détournées conduit les voyageurs de Sedan à La Rochelle en passant par Moulins et Guéret. Agressifs, veules, hostiles, d’un égoïsme dégueulasse, même les sales types (Maurice Biraud, Serge Marquand, le Gros Franco Mazzieri, Régine) finissent par s’amadouer, par se fondre dans la masse des pauvres gens éperdus. Sur les quais de la gare de La Rochelle, on se dit Au revoir sans méchanceté… avec la conscience d’avoir vécu un drôle de moment ensemble et d’être passé tout près de la mort.
Au fait, je ne trouve pas que les seconds rôles soient si nuls qu’on ait dit ; un peu taillés à la serpe, sans beaucoup de finesse, sans doute, mais à trognes bien choisies. Jean-Louis Trintignant et Romy Schneider sont, en tout cas, absolument parfaits, tout de pudeur, de retenue, de mesure, d’intelligence. La parcimonie des dialogues va très bien à cette histoire triste.
Ah ! Est-ce que cette étonnante séquence du mitraillage du wagon, de la mort simultanée du Gros et de fille galante, cloués l’un à l’autre alors qu’il font l’amour ne vous a pas fait naturellement évoquer La baie sanglante de Mario Bava où deux amants en plein exercice sont épinglés l’un à l’autre par une méchante sagaie ? (ça n’a évidemment aucun rapport, mais c’est tout à fait ça…).