Le voyage de la peur

Presque mortelle randonnée.

D’emblée, on ne sait pas qui sont les personnages que l’on va suivre dans ce voyage d’une rare efficacité dramatique. Le film commence à grande vitesse et ne cesse d’accélérer jusqu’à son dénouement, sans pourtant faire appel à des effets de suspense qu’il aurait été facile d’introduire (par exemple une scène où la police serait à deux doigts d’intervenir avec succès). Réellement le spectateur est embarqué avec ces trois hommes qui roulent sans fin sur les immenses paysages arides du Mexique : le tueur et ses deux otages, embarqués dans la même galère, qui semblent tous les trois, d’ailleurs, incapables de s’en sortir. Il paraît que le film est adapté de faits réels ; sans doute et c’est peut-être ce qui donne à la brève (71 minutes) réalisation d’Ida Lupino ce fort caractère de véracité, d’authenticité.

On ne sait pas d’où vient Emmett Myers (William Talman), l’assassin compulsif, sans pitié au visage haineux et à l’œil droit paralysé. On apprendra à peine qu’il vient du Kansas. Il n’y a qu’un bref moment où sa détestation du monde s’exprime : lorsqu’il prend à Gilbert Bowen (Frank Lovejoy) sa montre qui est un cadeau de sa femme, il crache que lui, personne ne lui a rien donné et qu’il ne dépend de personne. Se dessine une enfance méchamment abîmée ; mais saura-t-on la raison – même seulement apparente – qui le pousse accumuler les meurtres ?

Car c’est ainsi que ça commence : un auto-stoppeur sur une route de campagne qui, dès qu’il monte dans une voiture, en tue les passagers : pour les voler, pour les violer, pour le plaisir orgasmique du meurtre, pour fuir sa haine du monde et de lui-même ? Il n’y aura pas de réponse. Au fait pourquoi Myers ne tue-t-il pas aussi Roy Collins (Edmond O’Brien) et Gilbert Bowen (Frank Lovejoy) les deux copains partis loin de leurs femmes faire une bonne séance de pêche ? Il leur indique tout de suite qu’il est bien le tueur recherché désormais par toutes les polices mais il pense qu’il s’en sortira mieux en se faisant véhiculer par les deux braves types.

Longue errance. On ne comprend pas bien la raison de la course folle. On est dans la péninsule dite de Basse-Californie qui s’étend sur 1250 kilomètres et que sépare du reste du Mexique ce qu’on appelle la mer de Cortès. Le but du voyage, pour le tueur, est de traverser ce bras d’océan, sans doute pour se fondre plus facilement dans l’accueillant et bordélique Mexique. Il a prévu, au passage, de se débarrasser des deux clampins et il faut lui reconnaître cette justice qu’il ne leur a pas caché ses projets.

J’y reviens : Le voyage de la peur est d’autant plus réussi qu’il ne donne pas la moindre place au romanesque, au théâtral, et, si je puis dire, au surprenant : le spectateur vit l’errance minable du trio avec la trouille intense, continue, insupportable de deux braves pères de famille qui se demandent à chaque seconde si leur tortionnaire ne va pas, la minute suivante, leur envoyer une balle dans le crâne. Le propre du tueur Myers, c’est qu’il n’a pas de principe mais, si on peut dire, pas de vice : il ne torture pas sadiquement ses otages, il ne les pousse pas à bout : il est là, fatidique et impénétrable et à chaque seconde il peut tirer.

Ça se termine bien : le méchant est capturé, les deux benêts libérés. N’empêche que la bonne heure qu’on a regardée, on a vécu avec les acteurs.

C’est pas merveilleux, le cinéma ?

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