Les anges de l’ennui.
Voilà un monument d’ennui et de prétention qui a eu un très grand succès, critique – ce qui n’a rien d’étonnant – mais aussi, paraît-il, public, ce qui m’étonne et me fait songer à un de ces effets de mode qui font que le spectateur féru de France-Culture et des théâtres subventionnés se ferait tuer sur place plutôt que d’avouer qu’il s’est copieusement enquiquiné. On pourra dire tout ce qu’on veut sur la fluidité de la mise en scène et la qualité de la photographie – choses à quoi l’amateur ne fait pas attention, lorsque le film l’émerveille -on se demande à quoi rime cette pérégrination à prétention métaphysique dans un Berlin hideux et bariolé.
Les seuls moments acceptables sont ceux où une charmante artiste, Marion (Solveig Dommartin) donne un spectacle de trapèze dans le cadre miteux d’un petit cirque. Comme le numéro est fluide et la fille jolie, ça passe la rampe, mais c’est bien tout. Et encore, là, suis-je indulgent parce que le côté ringard du cirque m’a toujours insupporté depuis mes dix ans et que je suis totalement insensible au prétendu charme de la piste, y compris Sous le plus grand chapiteau du monde.
Alors comme ça des anges peut-être révoltés et déchus hanteraient notre vaste monde depuis des temps immémoriaux, n’y laissant pas de traces et observant les misérables actions humaines avec un sourire attendri et commisératif ? Pourquoi pas ? Aucune prémisse ne m’effraie et, plutôt ouvert à l’innovation ou à la loufoquerie, je veux bien m’engager dans les cheminements les plus surprenants. D’ailleurs un bien gentil film, un peu surévalué, mais très charmant et positif, La vie est belle de Frank Capra utilise à qui mieux mieux le procédé, à la satisfaction générale. Mais il est vrai que chez Capra les anges aident les Hommes alors que chez Wenders ils se contentent de les regarder, mi effarés, mi goguenards et ne ressentent pas pour eux la moindre empathie.
Donc un de ces promeneurs sur la Terre, Damiel (Bruno Ganz), qui traîne son ennui, en souvente compagnie de Cassiel (Otto Sander, qui ressemble comme une goutte d’eau à Roland Lesaffre, au demeurant) est, on ne sait ni comment, ni pourquoi, après tant d’années, de siècles, de millénaires, touché par la beauté d’une jolie trapéziste désespérée par la vacuité de sa vie. En parodiant un peu Jacques Chardonne, on pourrait dire que cet amour-là sauvera leurs vies du naufrage en leur offrant le partage d’une même solitude.
On mixe avec ce pathos le passage dans un Berlin encore bien peu cicatrisé des horreurs de la Guerre, de Peter Falk dans son propre rôle d’inspecteur Columbo, présenté lui aussi comme un ancien ange, désormais acclimaté aux beautés et horreurs de notre existence. Et, naturellement, s’agissant de l’Allemagne, des images infernales du nazisme. L’éternelle Germanie n’en finira jamais avec sa culpabilité honteuse.
Tout cela est bien farfelu, mais surtout terriblement ennuyeux, extraordinairement verbeux, guindé, pompeux, précieux, prétentieux, se prenant très au sérieux. Les lieux communs du dialogue se haussent du col, la musique est difforme, Berlin hideux, les astuces (passage du français à l’allemand, du Noir et Blanc à la couleur) terriblement tarte et prévisibles.
Un film qui se croit grand chose.