Ne méritaient pas de survivre.
Le meilleur du Dvd que je viens de regarder est ce qu’on appelle la face 2, celle qui tente d’expliquer, à grands coups d’interventions des protagonistes principaux, comment le film a eu la grâce d’être présenté aux spectateurs. Mal conçu, mal écrit, mal imaginé, il a bénéficié toutefois de l’adulation ressentie par les professionnels de la profession (les mecs qui colonisent Fémis et Cinémathèque) parce que le réalisateur, Leos Carax avait déjà réalisé deux trucs embrouillés Boy Meets Girl (1984) et Mauvais sang en 1986, qui ne m’ont pas semblé, jadis, avoir de quoi les commenter positivement. Il y a des cinéastes qui sont empourprés d’emblée par l’adulation médiatique et la tendresse des médias du Camp du Bien.
En tout cas, Les amants du Pont Neuf justifient que je relâche mon aigle vengeur sur le film de ce prétentieux Carax qui doit d’imaginer avoir un talent si fort qu’il mérite qu’on ne s’intéresse moins à ses films qu’à son discours.
C’est un fait, Les amants du Pont Neuf ont connu une assez invraisemblable séquelle d’ennuis : la grave, inopinée blessure de l’acteur principal, le physiquement assez laid Denis Lavant, qui a empêché que le tournage puisse s’accomplir aux jours qui étaient convenus et qui a obligé à prendre des solutions ingénieuses mais onéreuses pour pallier cet inconvénient. Si onéreuses (passant de 32 à 130 millions de francs, ai-je entendu) qu’il a été presque décidé que le film ne se ferait pas ; et il ne s’est finalement réalisé que grâce au producteur Christian Fechner et à la bienveillance accordée structurellement à Leos Carax.
À mon sens, si le film ne s’était pas fait, on n’aurait pas perdu grand-chose, tant l’histoire, finalement achevée après bien des vicissitudes, est ampoulée, paranoïaque, ridicule, prétentieuse et surtout d’une immense vacuité. C’est bien ce que je craignais, d’ailleurs, prévenu de longue date devant les prétentions du réalisateur et les chants d’enthousiasme dressés par ses admirateurs. On peut reconnaître à Léos Carax un certain talent imagier, d’assez belles photographies, ici et là ; mais on peut aussi, peut-être, les mettre au crédit de son chef opérateur.Pour le reste, que dire ? C’est, paraît-il, une histoire d’amour fabuleuse entre deux êtres malmenés par la vie. De ces deux êtres, on ne saura pas grand-chose. Un peu plus de Michèle (Juliette Binoche), qui est en train de perdre la vue mais dont on apprendra qu’elle est de bonne famille qu’elle s’est marginalisée du fait de son infirmité. Mais on ne saura rien du passé d’Alex (le très laid Denis Lavant), clochardisé, alcoolique, crasseux, esquinté par une voiture qui a roulé sur sa cheville parce que, ivre mort, il s’est effondré boulevard de Sébastopol.
Après l’accident, Alex est conduit par la BAPSA (Brigade d’Aide aux Personnes Sans Abri) à ce qui fut jadis la Maison de Nanterre », organisme de la Préfecture de police qui recueillait naguère tous les clochards, marginaux, ivrognes ramassés dans l’agglomération parisienne, les douchait, les soignait, les hébergeait. Guéri mais boiteux, Alex va retrouver son vieux pote Hans (Klaus Michael Grüber) sur la Pont Neuf en cours de confortation. Comme je ne vivais pas à Paris à l’époque, je n’ai pas souvenance de travaux si gigantesques que ceux qui sont présentés à l’écran (qui sont, donc, ceux d’un décor construit dans le Gard), mais je doute que, même en ce cas il eût été possible à trois errants d’y loger leurs pénates. Car à Alec et Hans vient s’ajouter Marie, qui s’impose, malgré le désir des deux hommes de l’éjecter. Je veux bien que la fiction ait tous les droits et puisse présenter comme réelles des situations impossibles, mais il y des limites à l’invraisemblance : la cohérence, par exemple.
À partir de là, c’est un caravansérail de scènes disparates, Alex crache du feu devant la fontaine des Innocents, il poursuit Marie (ou le contraire ? j’ai oublié) dans le métro, se retrouve sur un tapis roulant (Les Halles ou Montparnasse ?). Les deux boivent des litres de pinard dans des bouteilles en plastique, assistent à des feux d’artifice, valsent, volent des quidams en les droguant. Et ont des dialogues aussi fulgurants que celui-ci : – Le ciel est blanc dit Michèle Mais les nuages sont noirs. répond Alex.
À la fin elle le quitte ; il fait trois ans de prison. Elle lui rend visite. Se retrouvent à sa sortie. Il neige sur Paris. Il la fiche à l’eau et saute avec elle. Ils sont sauvés par un marinier. Tout va bien : l’avenir est lumineux, ils s’aiment et gnagnagna. On l’aurait parié.