Excellent mélo
Ce film, qui n’a pas laissé grande trace dans l’imposante filmographie d’Henri Decoin, vaut mieux que l’oubli dans quoi il est plongé et ne mérite pas simplement d’être vu pour Louis Jouvet, même si la haute silhouette et la diction d’asthmatique du grand comédien sont raisons suffisantes pour l’apprécier.
Mais il offre d’autres avantages : une histoire bien construite, assez violente, voire méchante, histoire d’un bonheur éclatant ravagé par la mesquinerie d’un milieu et, surtout, par la rumeur publique, qui transforme une gentille oiselle douée pour le piano en petite garce inconsciente destructrice.
Le grand compositeur Gérard Favier (Louis Jouvet, donc) vit, depuis près de vingt ans, un amour tendre et intelligent aux côtés de sa femme Sylvia (Renée Devillers). Au retour d’une promenade du côté de Barbizon, sur le lieu de leur première rencontre, où ils ont montré une intelligence complice, une connivence constamment ravivée, Gérard et Sylvia entendent, au détour d’une rue, jouer une jeune élève du Conservatoire, Monelle (la toute jeune Dany Robin). On fait connaissance. Émoi de la virtuose en herbe, sympathie agissante du couple : Monelle, prise en main par Favier, remporte succès sur succès.
Les méchantes langues et la presse à scandale (on aurait tort d’imaginer que Voici ou Closer sont des inventions du 21ème siècle !) commencent à insinuer que l’affection portée par Favier n’est pas exempte de toute perspective amoureuse.
Monelle, qui vient d’un milieu étriqué, minable, mesquin, qui est affligée d’un père peureux, vénal, petit employé répugnant (Fernand René) et d’un frère, parasite indélicat, voleur domestique, rigolard et inutile (Philippe Nicaud), n’est pas elle-même un personnage très reluisant. Grisée par la rumeur publique, elle s’invente pour Favier un de ces amours de tête qui existent en Europe, depuis que le Romantisme a durablement empuanti les relations entre les hommes et les femmes. Mi-flattée, mi-exaltée, elle s’imagine aimer le grand compositeur qui résiste, tout d’abord, avant de succomber pour une passade, puis de se reprendre.
Mais Sylvia a été frappée durement par la rêverie incertaine de son mari, par cette folie éphémère ; tout aussi romanesque que Monelle, et infiniment plus généreuse, elle se tue, pour laisser les amoureux seuls au monde ; elle se tue pour rien : Favier a rompu, déjà…
Mélo, donc, mais mélo joué par Jouvet, dialogué par Jeanson, ce qui nous vaut quelques réparties délicieuses, du type : Une noce qui ne danse pas, rien ne la distingue d’un enterrement, ou encore Je pense toujours à ce que les autres pensent de moi… Et si on pense de moi ce que je pense des autres !… ou bien (d’un critique musical à un autre) : Une première impression est toujours la bonne…surtout quand elle est mauvaise !
A ce propos, la musique du film est d’Henri Sauguet ; cela aussi devrait donner quelque succès à cet excellent film, suffisamment triste pour qu’on ne s’y ennuie pas…