Les amours d’Astrée et de Céladon

Les druides ont bien du mérite.

Ne jamais oublier qu’Éric Rohmer a de tout temps été habité par la Littérature. Deux échecs au concours d’entrée à l’École Normale Supérieure (Ulm), un à l’agrégation de Lettres classiques. Se souvenir que chacun des six films de ses Comédies et proverbes (de La femme de l’aviateur – 1981 – à L’ami de mon amie –1987 -) est illustré par un aphorisme (quelquefois inventé ou détourné) issu de la plume d’un grand écrivain. Et qu’il a réalisé quatre escapades dans des adaptations littéraires. L’une est très réussie : La marquise d’O d’après Heinrich von Kleist en 1976, une autre très singulière, confondante et, à mes yeux, absolument ennuyeuse, Perceval le Gallois inspirée de Chrétien de Troyes en 1978, une autre encore, fascinante, L’Anglaise et le Duc en 2001, d’après les mémoires de Grace Elliott, maîtresse du duc d’Orléans, avec ses décors en images d’Épinal.

Et donc, voilà que le dernier film d’un cinéaste qui n’a pas d’équivalent, ni ici, ni ailleurs adapte une toute, toute petite partie de L’Astrée d’Honoré d’Urfé, qui, dès sa parution en 1607 fut le roman le plus lu, le plus chéri, le plus admiré, le plus additionné de nouveaux épisodes après la mort de son auteur en 1625. Le roman-fleuve compte six parties – dont seules les trois premières ont été écrites par d’Urfé – et 5400 pages si l’on en croit Wikipédia. Dans un cadre pastoral qui évoque la mythique Arcadie grecque, bergers et bergères vivent aventures amoureuses compliquées, subissent les coups du sort, les méprises et les quiproquos, les infidélités ressenties ou réelles et bien sûr les agissements des méchants.

Tout cela se passe vers le 5ème siècle, mais dans un monde pré-chrétien où les vieilles croyances druidiques ont survécu dans des territoires pacifiques et préservés de la marche tumultueuse du monde. Mais les amoureux ne sont pas pour autant dépourvus de tout souci. Astrée (Stéphanie Crayencour) et Céladon (Andy Gillet) s’aiment passionnément mais ne peuvent vivre cet amour au grand jour, leurs deux familles étant brouillées. C’est ainsi que lors d’un bal champêtre Céladon, à la demande explicite d’Astrée, fait mine de courtiser la charmante Amynthe (Priscilla Galland) afin d’éviter les soupçons familiaux. Mais la coquine Amynthe parvient par ruse à arracher un baiser à Céladon. Il n’en faut pas plus pour qu’Astre se croyant trahie, fasse injonction à son amant de ne plus jamais chercher à la revoir.

Autour d’eux pastoureaux et pastourelles jouent, dansent, s’amourachent, flirtent. Mais ce grand nigaud de Céladon prend au sérieux le mandement d’Astrée et va se jeter dans le torrent pour se noyer. Mais tel Ulysse retrouvé par Nausicaa, le jeune homme est découvert, évanoui, par la nymphe Galathée (Véronique Reymond) et ses deux servantes Léonide (Cécile Cassel) et Silvie (Rosette) et recueilli dans leur beau château. Galathée, à la fluide sensualité, dit clairement à Céladon qu’elle l’accueillerait volontiers dans sa couche ; mais Céladon ne rêve qu’à Astrée et, aidé par Léonide, parvient à s’enfuir du château.

Cependant, tenu par son engagement de ne plus voir Astrée, il ne revient pas dans son village et commence une vie érémitique dans la forêt, ravitaillé par Léonide dont l’oncle, Adamas (Serge Renko), druide de haut rang propose à son protégé d’écrire les poèmes amoureux dédiés à Astrée.On ne va pas aller plus loin, parce que chacun aura compris que tout s’arrange à la fin, mais surtout parce que Rohmer, dans un film de durée normale (1h44) est interminable. Dans des décors qui, à force d’être jolis, finissent par lasser, dans une langue fluide, mais trop verbeuse, avec des épisodes qui ne parviennent ni à émouvoir ni – c’est plus embêtant – à intéresser le spectateur, le plus brillant dix-huitièmiste du cinéma français conclut assez tristement un florilège de films qui furent magnifiques. Dommage de partir là-dessus.

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