J’ai beaucoup écrit, ici et ailleurs, sur le cinéma d’Agnès Varda. J’ai écrit mon enthousiasme pour Cléo de 5 à 7, pour Sans toit ni loi, mon plaisir de regarder Le bonheur, Daguerréotypes, Les glaneurs et la glaneuse, mon intérêt pour Les plages d’Agnès, Visages, villages. Sans pour autant dissimuler mes réticences et même mon rejet pour les films militants gauchistes et écologistes comme Lions love ou par des filmages aussi complaisants que Jane B. par Agnès V. La dame de la rue Daguerre avait des idées farfelues, dont je suis à l’antipode, mais elle avait un sacré talent et j’ai aimé et aimerai toujours sa capacité à entrer dans la nature du monde et à faire vivre des personnages.
Et puis l’horreur. Ceci : Les cent et une nuits de Simon Cinéma, un film épouvantable, pathétique dans la médiocrité, un film qui, non seulement n’a eu aucun succès – ce qui n’est pas bien grave (les banques et les Soficas sont là pour ça !) mais qui n’a aucun intérêt et ne donne au spectateur aucune des images qu’il peut de temps à autre capter dans le plus mauvais des machins qu’on offre à son regard.
1995 ; le cinéma est né cent ans plus tôt, à la fin du mois de décembre, lorsque les frères Lumière, le 28 décembre 1895, ont présenté au public ébahi, au Salon indien du Grand Café leur premier court métrage, L’arroseur arrosé. Un siècle qui va changer notre regard sur le monde. Ou plutôt l’a changé de façon plus vigoureuse et plus partagée, rassemblant en lui nombre des autres arts. Pour ce centenaire, les Pouvoirs publics font feu de tout bois, à tout le moins en France, puisque nous sommes fiers que les deux frères lyonnais aient donné au monde le 7ème Art. Et il y a notamment un film sublime, merveilleux, indispensable où tout, absolument tout est réussi : montage, récit, voix, musique (de Michel Legrand) ; ce film s’appelle Les enfants de Lumière et je plains – et j’envie aussi – ceux qui ne l’ont pas encore vu, tant il est un chant de tendresse merveilleux, séduisant, exceptionnel envers le cinéma français.
Mais voilà que, dans un tout autre esprit et sans doute un peu grisée par les folies de la période, Agnès Varda veut elle-même jeter sa pierre et construire son propre mémorial à ce siècle du cinéma : on va faire venir des tas d’acteurs, montrer des tas de séquences, insérer des bribes de films connus ou moins connus, anciens ou récents, composer une sorte de patchwork des œuvres de quelque qualité créées depuis les origines.
Mais quelle tristesse, quelle médiocrité ! Un riche vieillard avare, Simon (Michel Piccoli), qui se prétend le réalisateur majuscule, absolu et omnipotent de l’histoire du cinéma, reçoit, pour que sa légende puisse à temps être élaborée, une jeune étudiante, Camille Miralis (Julie Gayet), qui est chargée d’animer sa mémoire et de réveiller son activité, de lui rappeler les films que jadis et naguère il a tournés ou inspirés. De temps en temps, Simon bavarde et se dispute avec son vieil ami italien (Marcello Mastroianni).
Voilà qui permet des myriades de citations, de présentations de séquences, de rappels de dialogues, d’images qu’on s’amuse à reconnaître, mais qui pour autant ne font pas progresser l’intelligibilité du film, toujours bâclé, ennuyeux, construit de bric et de broc… Agnès Varda a dû sourire et captiver tous les copains de la profession et la plupart, par charité, bienveillance, sympathie, ont répondu. Il y en a beaucoup, de fait : Michel Piccoli, personnage principal et légèrement ridicule, mais aussi toute une kyrielle de copains de tout ordre et de toute autre nature.
Comme c’est lamentable, pourtant, cette accumulation incohérente, sans aucun pauvre fil directeur que l’histoire amoureuse entre Camille (Julie Gayet) et Camille, dit Mica (Mathieu Demy) qui n’a aucun sens, aucune pertinence, qui est ennuyeuse au-delà du possible ; on a l’impression que la réalisatrice vague et erre n’importe comment, qu’elle raconte n’importe quoi, sans savoir où elle veut aller. De fait, d’ailleurs, elle ne va nulle part. On a beaucoup de pitié pour l’abondance des acteurs qui ont accepté de venir faire de la figuration dans cette nullité : et pas des moindres, d’ailleurs : Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Gina Lollobrigida, Gérard Depardieu, Robert De Niro, Jeanne Moreau, Catherine Deneuve, Sandrine Bonnaire… Des tas d’autres.Le centenaire du cinéma méritait autre chose.
Et Agnès Varda aurait dû faire beaucoup mieux.