Les chiens de paille

Le mouton enragé.

Je ne suis pas un profond connaisseur de l’œuvre remarquable de Sam Peckinpah et je craindrais d’enfoncer des portes ouvertes en essayant d’y déceler des thèmes porteurs, mais je suis sûr qu’on ne me chipotera pas si je le qualifie de cinéaste de l’ambiguïté.

À la fin de tous ses films, et en tout cas de ceux que j’ai vus, demeure toujours une interrogation sur la nature profonde des protagonistes (on ne va tout de même pas parler de héros en évoquant La horde sauvageApportez-moi la tête d’Alfredo Garcia ou Croix de fer), avec qui on n’est pas forcément, ou forcément pas, en empathie mais par qui on est fasciné. Puis cette ambiguïté s’installe insidieusement en nous pour nous interroger sur notre propre rapport à la violence, à la sauvagerie, et plus simplement à la mort. Et ce qu’on imagine pouvoir découvrir en soi, jusqu’à la volupté inquiétante de la férocité.

Ça ne marche évidemment jamais mieux que lorsque quelqu’un, animé des plus nobles idéaux de sagesse, de calme, de maîtrise de soi, de respect des autres se trouve confronté à la banalité de la brutalité ordinaire. Souvenons-nous, évidemment, de Délivrance : les niaises espérances en la bonté de l’Homme (et de la Nature, avec un N majuscule) s’écroulent devant la réalité vécue.

Dans une région perdue du monde civilisé (je sais ! ça confine à l’oxymore), la Cornouailles anglaise, piton perdu à l’extrême-occident de l’Europe, dotée de températures douces et de pluies continues (260 jours par an, selon Wikipédia !), les autochtones vivent un peu rudement et pratiquent de longues stations au pub, y ingurgitant pintes de bière et flasques de whisky. Si toutes les distractions sont de la même farine que les tours de prestidigitation et les vocalises minimales de la fête patronale où vont se dénouer les multiples tensions accumulées depuis le début des Chiens de paille, on conçoit que l’ennui, qui se partage, avec la douleur, la vie de l’homme, selon notre vieil ami Schopenhauer, fournisse son contingent de brutes alcooliques, de mâles frustrés, de débiles violeurs et de gamines nymphomanes.

Il est vrai que s’il n’y avait que ça, une communauté soudée par une forme d’avilissement, le film de Peckinpah ne serait pas d’une extrême originalité ; ce qui l’est davantage, c’est qu’ainsi que le notent des analystes distingués et pertinents , le couple Sumner (Dustin Hoffman et Susan George) vit une relation immature et qu’Amy est loin d’être innocente de ce qui va lui arriver.

Diable ! j’écris cela en pleine Journée de la femme ; si les Chiennes – de garde, cette fois – lisent ça, mon compte est potentiellement aussi bon que celui des assiégeants de la ferme des jeunes époux) : je serai abattu comme un chien (tout court).

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