Du sang, de la volupté et de la mort.
L’opinion générale est donc que les deux derniers films de la saga Dracula mise en scène par la Hammer ne valent pas tripette et qu’il faut les jeter à la voirie. Je dois dire que je partageais ce point de vue après les avoir découverts au cinéma en 1970. Comme tout le monde, je demeurais dans la fascination absolue du chef-d’œuvre du genre, Le cauchemar de Dracula où l’extraordinaire présence maléfique de Christopher Lee, la qualité des autres interprètes (Peter Cushing), la beauté chatoyante des décors et des éclairages, la vivacité de la réalisation de Terence Fisher permettaient l’aboutissement d’une œuvre insurpassable dans le genre.
Voilà que, peu à peu, j’ai revu tous les films qui m’avaient déçu et, dût la chose m’étonner, je les ai plutôt revalorisés. Aucun, bien sûr, ne se hausse à la hauteur du premier opus mais on peut trouver dans tous des qualités intéressantes, pour qui aime l’histoire du comte vampire. Disons aussi qu’en fait aucun des films (y compris Le cauchemar) n’est pleinement satisfaisant au regard de la fabuleuse qualité du roman de Bram Stoker, dont la longueur et la richesse obligent à des ellipses, des absences et des raccourcis importants. Les scénaristes de la Hammer, pour maintenir l’attention des spectateurs vont donc puiser ici et là des éléments négligés et fournissent à l’amateur à peu près son content d’émotions.
Il serait d’ailleurs hypocrite de faire mine de s’étonner de la constance des récits : éliminé à l’épisode précédent, Dracula, au début de chaque film, resurgit, renaît grâce à des cupidités, des imprudences ou des maladresses ; comme de juste, il s’empare de jeunes femmes qui passent à sa portée, les pollue, paraît triompher et à nouveau se fait éliminer de façon originale. C’est ce que tout le monde attend et il y aurait de la mauvaise foi à penser que dans un épisode le Comte demeurerait vainqueur absolu de ceux qui le traquent en les éliminant tous.
Vues sous ce prisme, Les cicatrices de Dracula apparaissent comme honorables, un peu dans la veine de Dracula et les femmes mais, à mon sens, moins réussies qu’Une messe pour Dracula, plus sombre et plus vénéneux. On aura tout à fait raison de se gausser des abominablement ridicules trucages des omniprésentes chauves-souris, lorsqu’elles apparaissent pour renseigner le Comte sur les manœuvres de ses adversaires ou pour lui signaler l’approche d’une proie ; mais on saura reconnaître à ces répugnants chiroptères la qualité de deux scènes : d’abord, très belle idée glaçante, le retour des villageois qui ont incendié la château de Dracula, ont installé leurs femmes dans l’église du village pour les protéger et découvrent à leur retour les corps lacérés, déchiquetés, énucléés ; et, un peu moins réussie, l’identique lacération du prêtre (Michael Gwynn) qui a guidé le héros, le courageux Simon Carlson (Dennis Waterman) vers le sombre château maudit.
Un peu plus de sexe, donc et bien davantage de gore ; j’ai déjà évoqué les corps déchiquetés des femmes de villageois et l’assassinat du prêtre picoré par les bestioles ; que dire alors de la vision, rare à l’époque, du dos lacéré de Klove, que son maître punit habituellement en le brûlant avec des lames de sabre rougies au feu ? Et le corps de Paul (Christopher Matthews), le frère léger et séduisant de Simon, épinglé au mur par un crochet de boucher dans la crypte où repose le cercueil de Dracula…
Certes Christopher Lee, qui souhaitait ne pas trop s’enfermer dans le personnage – mais y fut contraint – fait le minimum et ses yeux sont trop injectés de sang pour ne pas amuser. Mais enfin les hautes tours sévères, la brume, les forêts profondes, la terreur des villageois… ça marche tout de même assez bien encore.