Toute une vie.
Voilà un film d’une grande pureté, d’une grande fluidité, qui coule comme de l’eau de source, même aux moments les plus violents, lorsque les guerres civiles chinoises s’emparent du décor et ravagent la mission établie et dirigée par le lumineux Père Francis Chisholm (Gregory Peck) dans un coin perdu de l’Empire du Milieu. La stature de ce prêtre modeste et rayonnant est si simple et si généreuse à la fois qu’elle irradie tout au long d’un film bienveillant, dénué d’à peu près tout ce qui fait le succès d’un spectacle; pas la moindre scène sensuelle et simplement une petite tristesse initiale pour une histoire tendre qui aurait pu être et n’a pas été ; pas de manigances, de coups de théâtre, de supercheries, de crapoteux minables secrets. La simple vie d’un simple prêtre qui aurait été, en Occident, un simple curé de campagne et qui trouve, en Extrême-Orient l’occasion de déplacer des montagnes.
On ne parle plus guère aujourd’hui d’A.J. Cronin, dont la vingtaine de romans publiée en une quarantaine d’années remporta un immense succès public. Une écriture juste, un récit clair, de nobles sentiments. Le cinéma a souvent adapté ses textes, par exemple La Citadelle de King Vidor en 1938, Les vertes années de Victor Saville en 1946 et donc, en 1944, Les clés du Royaume de John M. Stahl, qui n’a pas laissé grande trace dans l’histoire du cinéma. Et à dire vrai, le film ne retient pas l’attention par des effets d’éclairage, de mise en scène, par des angles hardis ou originaux. Sobriété des dialogues, simplicité des personnages.
Parce que le film n’était que le troisième tourné par Gregory Peck qui avait, certes, un bon petit bagage théâtral, mais, pourtant déjà âgé de 28 ans, n’avait pas encore tâté du grand écran. Il explose donc en cette année 1944 où réformé du service armé, il tourne coup sur coup Jours de gloire de Jacques Tourneur, Le jour du jugement de Tay Garnett (qui est-ce ?) et donc Les clés du Royaume. Il ne s’arrêtera plus et connaîtra une des plus brillantes carrières d’Hollywood. En tout cas il parvient à rendre crédible le parcours d’un homme censé se dérouler en une cinquantaine d’années, de la disparition violente de ses parents, emportés par une rivière en crue jusqu’à sa retraite dans un petit presbytère d’Écosse après son long apostolat dans une Chine misérable et bouleversée par la violence et les exactions des Seigneurs de la Guerre.
Humblement, paisiblement, sans effets de soutane, le P. Chisholm trace sa route au milieu de villageois indifférents, puis curieux, puis séduits par cette Foi tranquille, qui n’est jamais ostentatoire et toujours ouverte et généreuse. Il y a une sorte de sainteté discrète, presque secrète qui finit par emporter toutes les réticences, y compris celle de la religieuse Maria-Veronica (Rose Stradner), issue d’une riche famille aristocratique, qui n’a d’abord que mépris pour ce prêtre modeste. Il est vrai que, dès son arrivée, il a sauvé de l’infection le fils d’un puissant mandarin local, Chia (Leonard Strong) qui lui en gardera reconnaissance toute sa vie.
On cherche en vain ce qu’on pourrait reprocher à ce long parcours édifiant… quelques lenteurs, ici et là, sans doute, mais toujours de la clarté ; ce n’est pas si fréquent, n’est-ce pas ?