Du sang, de la volupté et de la mort.
Je crois que tout le monde est d’accord sur la supériorité remarquable des Gladiateurs de Delmer Daves sur La Tunique d’Henry Koster ; ce qui est drôle, c’est que les deux films ont été tournés simultanément, utilisant nombre des mêmes plateaux et le même scénariste, Philip Dunne. Pourtant l’un est l’évidente suite de l’autre et le pré-générique des Gladiateurs présente les dernières images de La Tunique, où Marcellus (Richard Burton) et Diana (Jean Simmons), convertis au christianisme, marchent à la mort rayonnants de Foi.
Et bien sûr, les deux personnages masculins principaux, le troisième empereur romain Caligula (Jay Robinson), peu à peu gagné par la folie et l’esclave affranchi Demetrius (Victor Mature) dominent un film au scénario très élaboré, empli de nombreuses péripéties, ouvert sur des questions existentielles puissantes et donnant des premières décennies du christianisme une image intéressante. On peut ne pas faire l’impasse sur le personnage de Pierre (Michael Rennie), présent dans l’un et l’autre film, dont la sagesse et la fermeté font impression.
Cela étant, il y a plusieurs orientations variées dans Les gladiateurs : le développement du christianisme, bien sûr, qui en fait ne commencera a être persécuté que sous Claude, successeur de Caligula et surtout sous Néron ; la paranoïa glaçante de Caligula, qui ne croit en rien d’autre qu’en sa folie ; les manœuvres insidieuses de Messaline (Susan Hayward) sensuelle, séduisante, orgasmique lorsqu’elle regarde lutter Demetrius ; l’amour éthéré de Demetrius et de la jeune Silvia (Debra Paget, bien loin de la danseuse très érogène du Tigre du Bengale de Fritz Lang).
Mais aussi, peut-être surtout, tous les combats dans l’arène que livrent les gladiateurs. À dire le vrai, je n’ai pas une folle inclination pour la physionomie de Victor Mature ; je lui ai trouvé toujours un sourire crispé et une neutralité de jeu qui l’a sûrement confiné dans les rôles musculeux où il a excellé : Samson et Dalila de Cecil B.DeMille en 1949, Androclès et le lion de Chester Erskine en 1951 et, après le duo Tunique/Gladiateurs, un Annibal d’Edgar G. Ulmer (1959) qui, à mon souvenir, n’était pas mal fait. Mature n’a jamais prétendu à quelque qualité de jeu que ce soit et il disait lui-même que son vrai métier, c’était le golf, qu’il pratiquait assidûment. Il a d’ailleurs interrompu très tôt sa carrière.
Eh bien dans l’arène, il est excellent ! J’ignore, il est vrai, s’il a interprété toutes les scènes où il combat ses camarades gladiateurs, moins encore s’il s’est colleté aux tigres considérables qui devaient, sans doute, être domestiqués mais n’en étaient pas moins impressionnants et massifs ; en tout cas, quelle que soit la part de l’illusion et du trucage cinématographiques, ces nombreuses séquences sont spectaculaires, haletantes et bien montées ; certes un supplément du DVD démontre, spécialistes à l’appui, que les combats ne se déroulaient pas du tout comme il est montré dans le film, mais enfin, on n’est pas là pour subir un cours d’archéologie pugilistique.
Caligula/Jay Robinson est répugnant de veulerie, de perfidie comme on peut l’imaginer, Messaline/Susan Hayward rouée et subtile, Claude (Barry Jones) moins lourdaud qu’il paraît.
Et je garde aussi une grande admiration pour Ernest Borgnine, acteur magnifique qui ne brilla pas seulement dans le péplum (Barabbas de Richard Fleischer 1961), mais aussi dans le film noir (le sergent sadique de Tant qu’il y aura des hommes de Fred Zinnemann 1953), la comédie douce-amère (le rôle principal de Marty de Delbert Mann1955), la saga historique (le cruel et courageux Ragnar chef des Vikings de Richard Fleischer 1958), le western crépusculaire (La horde sauvage de Sam Peckinpah 1969).
Enluminé de son statut de Premier film en Cinémascope, La Tunique a eu, je crois, un succès plus considérable que Les gladiateurs. Il n’y a pas de justice.