Si bizarre que ça puisse paraître, le cinéma néerlandais ne se résume pas à sa figure la plus célèbre, Paul Verhoeven, dont, d’ailleurs, une grande partie de la carrière s’est déroulée aux États-Unis. Sans blague, il existe vraiment un cinéma des Pays-Bas dont, de temps en temps, des icebergs isolés arrivent jusque dans nos contrées moins pluvieuses.
La géographie nous a fait proches, mais je doute que nous ayons beaucoup de rapports complices avec les citoyens de ce pays de canaux, de canards, de canailles (Voltaire), qui parlent une des langues les plus rocailleuses et gutturales du monde, adorent venir passer des vacances dans le Sud-Ouest en transportant dans leurs mobil-homes tout leur ravitaillement et ont pour particularité d’avoir fourni à l’Allemagne nazie le plus fort contingent de volontaires étrangers engagés dans la Wehrmacht et la SS.
Ce plaisant venin jeté, reconnaissons qu’Amsterdam est une ville charmeuse, à la beauté un peu répétitive toutefois, que Vermeer et Rembrandt savaient tenir un pinceau et que Johan Cruyff était un footballeur de génie. Je crois que c’est à peu près tout ce qu’il y a à dire sur les bien nommés Pays-Bas.
Cela étant, il y a déjà quelques années, m’était tombé sous la main un drôle de film d’un réalisateur batave, Alex van Warmerdam, regardé avec une certaine curiosité qui tenait toutefois aussi du malaise.
Les histoires drôles de drôles d’habitants dans une drôle de rue d’un drôle de lotissement, dit ce qui n’est pas un résumé sur la fiche du film, mais une bonne approximation d’un étrange objet cinématographique, souvent sarcastique, très souvent oppressant, toujours surprenant. Et cela à condition qu’on n’entende pas le mot drôle au sens de rigolo.Je ne sais pas trop à quoi le comparer : la bizarrerie des situations est bien plus forte que dans Dogville, par exemple, mais sans le côté volontairement artificiel qu’avait le film de Lars von Trier, ses espaces tracés à la craie et son absence absolue de décors. Dans Les habitants, il y a quinze à vingt maisons désespérément banales qui forment une rue sans début ni fin dans une plaine sablonneuse plate comme la main (et les Pays-Bas, j’y reviens). Il y a une forêt, plantée au cordeau d’apparence, et pleine de pièges et de trous d’eau. Des bus circulent, il y a sans doute une ville plus loin.
Il y a des cinglés qui ne le paraissent pas d’emblée mais le sont vraiment ; une sorte d’étouffement graduel d’une vie sociale accablante ; une parabole de l’indifférence aux autres, de l’incompréhension au sein des couples, de la frustration et de la névrose.Je n’étais alors pas sûr d’avoir aimé, mais pas un instant je n’avais décroché. Et j’ai revu une nouvelle fois Les habitants, avec la même forme d’embarras qu’auparavant, celui que je ressens la plupart du temps devant des films issus de cultures nordiques : Ingmar Bergman, jadis, mais aussi Lars von Trier souvent aujourd’hui ou même Michael Haneke, dans ce qu’il peut avoir de plus germanique, comme Le ruban blanc. Une lumière du Nord, des forêts sombres, des terres pleines de sable, la proximité de la grise Baltique…
Surtout l’omniprésence de la frustration sexuelle. Et une sexualité rarement perçue comme un plaisir éclatant, mais plutôt comme une malédiction et une obsession redoutable.
Je sais bien que je force le trait et que l’Espagne vue par Bunuel n’est pas beaucoup mieux lotie dans ce domaine. Je sais aussi que si dans Les habitants le facteur du lotissement, Plagge (van Warmerdam lui-même) prend un malin plaisir à décoller les enveloppes des lettres qu’il doit remettre et à lire les correspondances, Roger Martin du Gard, dans un court récit, Vieille France, racontait d’identiques errements d’un préposé dans notre doux pays. N’empêche qu’il y a un côté étouffant, insupportable, coincé, rigide que je trouve omniprésent dans les contrées à soleils pâles…