Je suis confondu devant les propos plutôt sympathiques tenus par des amateurs que j’estime sur un film qui m’est apparu d’une grande et absolue nullité, ennuyeux comme la pluie de décembre malgré son heureusement courte durée et interprétée par deux excellents acteurs qui n’étaient encore qu’à l’état d’ébauche. Je n’attendais évidemment pas grand chose d’un film diffusé sur C8 un dimanche soir, mais, bon enfant, je me disais qu’il y aurait toujours un petit bout de gras à puiser dans une de ces comédies des années 80, qui ont explosé à la suite des formidables spectacles du Splendid.
Des comédies qui ont souvent – très souvent, trop souvent – joué sur l’association de deux acteurs de physique et de caractère dissemblables (mais moins dans le film de Charles Nemes qu’ailleurs), structure classique, facile, séduisante qui permet la mise en valeur de contrastes pittoresques. Assez généralement le duo en première ligne est composé d’un beau gosse apprécié des filles, ou d’un homme de pouvoir et d’autorité et d’un faire-valoir minable, mesquin, râleur et sans charme.
Il faut reconnaître que Les Héros n’ont pas froid aux oreilles met une toute petite touche d’originalité dans ce paysage convenu : les deux protagonistes, Jean-Bernard (Daniel Auteuil) et Pierre (Gérard Jugnot) sont d’une identique médiocrité. Minables petits employés de banque à la vie aussi terne que leur avenir, ils cohabitent dans un appartement éteint, poussiéreux, banal. Ils n’attendent rien, ne souhaitent rien, ne font rien. Célibataires, à peine sexués, résignés d’évidence à leur insuffisance. Voilà qui n’est pas mal.
Mais qui n’est pas féroce ! Et c’est bien là ce qui différencie les films – même bons – de cette époque et les grands films de la comédie italienne : l’absence de férocité. Tout s’y termine bien, tout s’arrange, tout sourit, après les vicissitudes. Pour cent briques, t’as plus rien, Les hommes préfèrent les grosses, Marche à l’ombre, Viens chez moi, j’habite chez une copine, Circulez, y’a rien à voir !… Il y a là pourtant un riche terreau drôle, comique de situations potentiellement aussi dramatiques que la vie comme elle se déroule vraiment.
La vraie vie, on ne la voit que furtivement. Et la seule chose qui m’ait plu dans le film de Charles Nemes, le petit bout de gras que j’écrivais plus haut, c’est la présence de l’Ami 8 Citroën, la petite soeur de l’Ami 6, estimée, à juste titre par beaucoup plus laide voiture du monde. Cette Ami 8 bleu pétrole est celle que louent les deux cousins Jean-Bernard et Pierre, encouragés par le directeur de leur agence, Bertier (Henri Guybet) d’aller faire un peu de tourisme. Et où les deux nigauds recueillent une adolescente paumée fugueuse, Karine (Anne Jousset). Petite pique narquoise : la jeune femme était alors la compagne de Daniel Auteuil et, née en 1953, elle avait alors 26 ans, alors que le film la présente comme une mineure de 18 ans.
Mais s’il n’y avait que ça ! D’ailleurs il n’y a que ça : deux célibataires guère malins s’amourachent d’une fraîcheur mais la recèdent vite à ses parents dès qu’ils sont compris qu’il y a une récompense à la clef et que la minorité de la petite peut leur valoir des ennuis.
Ça se traîne, ça patauge, ça patouille, ça s’englue. Si Anne Jousset est une catastrophique comédienne et n’a d’ailleurs pas fait carrière, on ne peut en dire autant des deux compères ; mais ils ne sont là qu’à l’orée de beaux parcours. Le talent est une chose, assurément, mais, hors exception, il n’éclate que par l’expérience et le travail.