Vive la liberté !
Les hommes préfèrent les grosses a été réalisé par Jean-Marie Poiré en 1981, il y a donc presque trente ans. Une génération. En revoyant hier cette excellente comédie pour la sept ou huitième fois, en y prenant toujours autant de plaisir, je me disais que nous avions alors bien de la chance ! Est-ce que l’on imagine, dans ce glacial et glaçant début de 21ème siècle qu’il serait possible de tourner un film doté d’un titre pareil, sans se faire traiter d’un de ces nouveaux mots incantatoires qui ont pour effet de vous dénier droit à la parole ; tout ces mots en -phobe qui vous disqualifient.
Grossophobie, voilà qui vous serait jeté à la tête et qui brûlerait votre front d’une marque indélébile ; d’autant que les grosses filles mises en scène (en premier lieu au premier plan Lydie (Josiane Balasko), mais aussi la première colocataire qui se présente à elle (Chantal Neuwirth) sont non seulement grosses mais moches et ridicules. Et qu’elles sont mises en parallèle avec tout un bataillon de filles toutes plus ravissantes – ou spectaculaires – les unes que les autres, mais également, il faut le dire, tout aussi idiotes, superficielles et insignifiantes. Je me demande d’ailleurs si on ne jetterait pas à la tête de la ravissante vedette, Éva, qui s’appelle Ariane Lartéguy, l’abomination du nom de son père, Jean Lartéguy, militariste auteur à succès de bouquins à succès, dont Les Centurions qui furent portés à l’écran par Mark Robson, avec Anthony Quinn et Alain Delon.
Grossophobie, donc, à quoi on pourrait aussi ajouter misogynie ; et en plus aucun clin d’oeil à cet impératif catégorique d’aujourd’hui qui est la différence : en regardant bien, on ne voit dans le film aucun Noir et aucun homosexuel (ou alors, il faudrait regarder chaque séquence à la loupe). Voilà une faute qui ne serait pas permise en 2019.
La chose est aussi à observer : l’idée du film émane de Josiane Balasko ; on ne va évidemment pas le lui reprocher mais on serait bien étonné si, en 2019, alors qu’elle est désormais de tous les combats anarcho-libertaires qui traînent et quelle signe à peu près toutes les pétitions qui se présentent sous sa plume en faveur du Camp du Bien elle repiquerait au truc. J’ajoute qu’elle s’est adjoint les services de Catherine Lara, pour composer la musique, dame qui doit bien avoir à peu près le même comportement vertueux et pétitionnaire.
Donc, me disais-je en suivant les excellentes péripéties du film, on ne pourrait plus tourner ça aujourd’hui : Lydie, une grosse moche que son chef de service/amant abandonne d’emblée pour une mieux fichue, est obligée de chercher une colocataire pour payer le loyer qu’elle avait endossé dans la perspective de son prochain hyménée. C’est une ravissante idiote, Éva, qui est un peu n’importe quoi, mannequin, modèle, fille légère qui s’installe et qui attire toute la bande de jeunes viveurs très friqués qu’elle a l’habitude de fréquenter. Faune cosmopolite qui passe son temps entre Saint-Tropez, Marbella, Los Angeles, les Bains-douches (à l’époque, Castel un peu avant, Costes aujourd’hui). S’ajoute au hourvari Gérard, le frère de Lydie (Luis Rego), employé de poissonnerie dont les yeux s’allument comme des comètes dès qu’il aperçoit ces beautiful people à la vie facile et aux mœurs légères. Et, pour couronner le tout le brave, mais très violent Jean-Yves (Daniel Auteuil), follement amoureux d’Éva qu’il voudrait emmener dans un tour du monde austère sur son petit bateau, fait irruption périodiquement pour tout casser…
C’est très vif, très bien emmené. Ça ne vole pas haut, les quiproquos sont faciles, mais ils font mouche, La description de la petite société fêtarde est moins féroce que celle qu’en fait Gérard Lauzier (Je vais craquer en 1980 réalisé par François Leterrier, La tête dans le sac en 1984 réalisé par Lauzier lui-même) mais elle gratouille. Et il y a même l’intervention en guest star de l’excellent Thierry Lhermitte qui interprète un végétarien non violent et qui, refusant viande et poisson (qui ne sont que du cadavre !) acceptant de manger des œufs et se voit rétorquer par Gérard/Régo : »Et pourtant un œuf, c’est un poussin pas encore né qui est déjà mort !’’. La tyrannie végane n’avait pas encore frappé..
La fin est aussi improbable que tout le reste ; la grosse Lydie et l’intrépide navigateur Jean-Yves partent ensemble, amoureux (ou résignés). On songe à ce qu’un des maîtres de la comédie italienne aurait fait du sujet (au fait, il y a un excellent film qui reprend un peu le thème : Le signe de Vénus de Dino Risi 1955) ; et je songe aussi, en rêvassant, à ce qu’aurait pu en faire Michel Houellebecq. Voilà de bien grands patronages pour un si petit film ? Certes, mais c’est toujours amusant de regarder l’autre côté du rideau.