Qu’était-ce ?
Il serait intéressant de dresser la liste d’habitations qui sont presque à elles seules acteurs de films et de glisser un parallèle des Innocents avec La maison du diable, ou autre demeures effrayantes. La seule qui me vient à l’esprit et que j’appelle sans conviction à la rescousse, c’est la curieuse et mélodramatique Maison assassinée de Lautner, qui n’est ni de la même souche, ni de la même qualité, loin de là !
Je ne suis pas fort amateur du court roman (de la longue nouvelle ?) Le tour d’écrou d’Henry James ; je m’y suis au moins deux fois perdu, égaré par une écriture trop elliptique et ma méconnaissance littéraire de l’univers anglais.
J’ai donc commencé à regarder Les innocents avec une certaine réticence, tout disposé à vite abandonner l’écran si l’ennui commençait à me gagner. Et je suis resté, captivé, de plus en plus admiratif de la progression dramatique et de la capacité à filmer l’atmosphère perverse et glaçante qui convient à cette histoire de souillure ou de frustration, selon qu’on considère le récit de l’œil de Miss Giddens (Deborah Kerr) ou de façon plus extérieure.
Car les histoires de peur – par différence avec les films d’épouvante – ont le grand mérite de laisser ouvertes les possibilités et les interprétations et de soumettre à chacun ses interrogations, tranchées, quand elles le sont, au couperet de sa propre sensibilité. Miss Giddens est-elle une jeune femme bridée par sa condition de fille de pasteur et par le refoulement névrotique de la société victorienne, se racontant des histoires horrifiques par sa seule imagination, ou est-elle victime des véritables sortilèges démoniaques issus de la perversité de Quint (Peter Wyngarde), valet mort, mais encore présent dans les mémoires de ceux qui l’ont frôlé et de l’étouffante perfection de la maison et du domaine, espaces absolument clos, se suffisants à eux-mêmes comme métaphores de l’enfermement ?
Les innocents comptent très peu de personnages – Miss Giddens, les deux enfants, Miss Grose la nourrice (je compte pour rien l’oncle des enfants qu’on ne voit qu’au début, dans une sorte de prologue), quelques utilités domestiques et naturellement les fantômes, qu’on ne voit que subrepticement et qui ne parlent pas – ; très peu de personnages, mais qui n’empêchent pas de ressentir cette impression d’étouffement, de pullulement de mauvais sorts et de maléfices : les statues, omniprésentes, les escaliers, les fenêtres, les pièces sombres, les arbustes battus par le vent, les brouillards, tout cela donne cette impression de malaise et de malédiction qui fait la force du film de Jack Clayton.
Ajoutons que c’est plastiquement magnifique et que, au delà du grand talent de Deborah Kerr, les deux enfants sont remarquables : il y a, à un moment, dans l’œil de la petite Flora, devant l’araignée qui dévore un papillon, une lueur démente, brusquement d’une infinie cruauté. La jeune Pamela Franklin n’avait alors que 11 ans ; je lis sur elle qu’elle fit une carrière banale, mais qu’elle tourna plusieurs films d’horreur… Tiens donc !