Les lèvres rouges

Méfiez-vous des femmes !

Le tour de force de Harry Kümel a été de réaliser ce film intéressant et devenu, au cours des ans, assez mythique, malgré de tout petits moyens et dans le cadre d’une coproduction internationale qui lui a imposé des contraintes de scénario et de dialogues dont il ne voulait guère et avec une distribution secondaire qu’il n’avait pas choisie : dans les intéressants suppléments du DVD lui-même et les actrices Danielle Ouimet et Andrea Rau s’étendent assez longuement sur ces points ; dans un petit livret joint, Kümel ajoute une nouvelle couche. Il se gausse d’ailleurs avec férocité des balourdises pompeuses de son interviouveur, Olivier Rossignol, qui aimerait bien faire dire au film des tas de choses compliquées et y voir des intentions qui n’y sont pas ; avoir été démenti sur presque toute la ligne n’empêche d’ailleurs pas Rossignol, dans les deux dernières pages, de livrer ex cathedra ses interprétations, dans un style assez lourd agrémenté de fautes d’orthographe : c’est le malheur de ces livrets un peu boursouflés, comme le furent ceux d’un certain Jacques Viallon que j’ai eu le plaisir de démolir pour Maria Chapdelaine de Julien Duvivier).

Revenons au film qui vaut mieux que cette querelle : le manque de moyens n’est évidemment pas un reproche et il n’est pas sûr qu’il ne présente pas quelques avantages, notamment celui de resserrer l’action autour d’un très petit nombre de personnages. Et, naturellement, de mettre en exceptionnelle valeur la froideur glacée et raffinée des deux atouts principaux du film : Ostende et Delphine Seyrig.

amfhxdDelphine Seyrig, d’abord et avant tout. Si elle n’interprétait, avec une infernale séduction souriante la comtesse légendaire Erzsébet Báthory, qui survit depuis des siècles grâce à sa consommation de sang de vierges, que resterait-il des Lèvres rouges, petit film esthétisant comme il y en eut tant ? Et son rôle de goule charmeuse est si fort, si bien tenu, qu’on en vient à se demander s’il n’est pas le meilleur de sa carrière, défalcation faite des personnages de ce cinéma militant bizarre et ennuyeux dont elle était malheureusement entichée (William Klein, Marguerite Duras, Chantal Akerman, Liliane de Kermadec). Sa voix de violoncelle (aussi belle en VO qu’en VF), son rire inimitable et profond, la souveraineté de son port et de son allure donnent à toutes les scènes où elle apparaît le charme vénéneux qui s’attache au film, d’autant qu’elle est admirablement éclairée et vêtue avec une grâce infinie et intemporelle.

Ostende ensuite. Les flots gris de la mer du Nord, les plages interminables, les grandes avenues désertées, les palaces endormis de la morte-saison et l’étrange onirisme belge qui a donné Jean Ray (dont Kümel a adapté Malpertuis), Michel de Ghelderode, André Delvaux au cinéma et les étranges immeubles Art nouveau de Victor Horta et de tant d’autres…

Le film est un peu lent, toutefois, souffre de la faiblesse extrême du jeu du personnage masculin, Stefan (John Karlen), mais aussi des exigences différentes, voire antagoniques des co-producteurs : ainsi l’aspect intéressant – trouble, en tout cas – mais nullement exploité par le récit, de la personnalité de Stefan qui a fait croire à sa jeune femme Valérie (Danielle Ouimet) que sa mère, à qui il tarde de la présenter, est une aristocrate britannique hautaine alors qu’il est en fait le giton d’un vieil homosexuel raffiné (Fons Rademakers).

Il y a en tout cas de très bonnes scènes, enrichies par une très belle photographie, la mort brutale d’Ilona (Andrea Rau), la compagne soumise de la comtesse, son ensevelissement dans le demi-jour glauque d’une dune, ou la course folle pour devancer le soleil qui se lève de la comtesse et de Valérie, devenue son amante et son esclave. Je me serais toutefois bien passé de la fin, la mort kitchissime de la comtesse et de l’épilogue, superflu.

Mais pour qui aime Delphine Seyrig, c’est un régal.

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