Je gardais un souvenir sympathique de quelques films des Marx Brothers vus il y a longtemps, qui me semblaient incomparablement plus drôles que les pitreries muettes des Mack Sennett, Harold Lloyd ou Charlot, qui, dès que j’ai dépassé ma huitième année, ne m’ont pas arraché un sourire. Au moins, chez les trois (ou quatre) frères, il y avait des dialogues, dont je me souvenais que plusieurs morceaux de bravoure m’avaient paru délicieux. Les Marx au grand magasin s’achète pour une bouchée de pain et je me suis laissé faire paresseusement.
L’édition est bonne, image et son, bien que les lyrics, qui ne sont pas rares, ne soient pas sous-titrés. J’ai regardé le film en version originale, me posant la question existentielle de la meilleure façon d’apprécier la turbulence verbale de Groucho (beaucoup) et de Chico (un peu) : est-ce que les sous-titres parviennent à traduire convenablement les jeux de mots et les inventions farfelues qui foisonnent ? est-ce que la version française ne trahira pas le bourdonnement logorrhéique qui fait un des charmes du genre ? Problème difficile à résoudre !
Ce qui est appréciable, c’est le cynisme de bon aloi, qui n’est pas si fréquent que ça dans les films comiques, trop souvent consensuels : on n’hésite pas à prévoir des assassinats, à rémunérer de vrais tueurs à gages, à convoiter des magots. Il y a aussi des séquences assez bluffantes d’inventivité, comme la transformation de la pouilleuse chambre où végètent Groucho et Harpo en bureau de détective privé suroccupé. La poursuite finale, dans un grand magasin qui semble alors un vaste terrain de jeu déroutant est aussi très réussie, avec des idées très drôles (la tige des luminaires traitée comme des lianes pour Tarzan, les patins à roulettes…).
Mais enfin tout cela est un peu vide et il y a bien des facilités, par exemple les aventures lourdingues de la famille nombreuse italienne. L’intrigue est insignifiante, les interventions du chanteur de charme Tommy Rogers (Tony Martin) difficilement supportables…
Surtout – mais je suis conscient que cette critique porte en elle-même sa propre contradiction -, les Marx Brothers ont le défaut d’être trois et ce trio est archidominé par le seul personnage de Groucho, les deux autres côtés de ce triangle étant soit insignifiant (Chico), soit exaspérant (Harpo).
Je ne suis pas très amateur de ce cinéma burlesque, à dire le vrai et chacune de mes visions me conforte dans cette appréciation. Mais dans le genre, je trouve que Hellzapoppin est plutôt beaucoup mieux…