Les musiciens du Ciel m’ont paru bien patauds, bien lourdingues, bien moralisateurs et bien niais et pourtant j’ai essayé au maximum de mettre de côté mon ironie peu charitable envers ces parpaillots. Les salutistes se constituent en brave Armée contre la misère et, à l’instigation de leur fondateur, le pasteur méthodiste William Booth vont vaillamment porter la Bonne parole aux marges tout autant qu’au cœur des villes, nouvelles Babylones. Qu’ils agissent avec une grande détermination et une très bonne et très justifiée bonne conscience n’empêche pas que cette charité caporalisée où l’on se costume, s’engalonne et s’intitule Commissaire, Capitaine ou Lieutenant me semble un peu bébête.
J’ai tort, bien entendu et d’ailleurs je mégote rarement ma piécette lorsque, l’hiver venu et les frimas installés, j’aperçois sur une place trois ou quatre braves gens soufflant dans une clarinette et un bugle au milieu de l’indifférence des passants. Les Salutistes sont touchants et indispensables. Et courageux, aussi. Dans mon jeune temps, quand je sortais un peu tard le soir dans des cabarets sombres et alcoolisés, j’ai quelquefois vu un des leurs, comme dans le film, venir proposer aux noctambules alcoolisés d’acheter En avant !, journal édifiantissime de l’organisation. Il faut le faire, ça, affronter les quolibets et les rudoiements et passer d’une cave enfumée à un bistro morose en espérant qu’au bout de la nuit on aura pu accrocher une minute d’attention… C’est courageux et ce n’est pas tellement gratifiant. Il faut y croire.
Les musiciens du Ciel est un film qui s’appuie naturellement sur ces singuliers et tendres dévouements. D’ailleurs un carton, au début du film, le dit nettement : le film de Georges Lacombe a reçu l’approbation de la direction de l’Armée du Salut et on n’est pas loin de l’œuvre documentaire de propagande. Et pourquoi pas, après tout ? La vie est à nous, charmant film imbécile de Jean Renoir a tout aussi clairement, en 36, reçu l’onction du Parti communiste qui en avait passé commande.
Ce n’est pas ça qui me dérange. Ce qui m’agace, c’est la tête crétine de René Lefèvre dont la physionomie suffirait presque à me gâcher Le crime de Monsieur Lange, un des deux ou trois meilleurs films de Jean Renoir (encore lui !). Je suis tout autant convaincu que mon jugement est injuste, d’autant que je l’ai trouvé très bon acteur, vieilli, dans le rôle secondaire du fourgue du Doulos de Jean-Pierre Melville, qu’il a fait une très belle guerre et qu’il avait un réel talent d’écriture ; mais c’est comme ça : je ne parviens pas à passer sur sa physionomie de fromage mou.
Autre réticence, Michèle Morgan, surtout lorsque comme dans Les musiciens du Ciel elle interprète une héroïne admirable mais victime-née, trop parfaite pour ne pas exaspérer la vraisemblance, totalement éthérée, asexuée, lumineuse et fragile. Et comme elle meurt de consomption (et de tuberculose) à la fin, ça complète un tableau auprès de quoi les pires chromos sulpiciens feraient l’effet de gravures scabreuses.
En revanche, Michel Simon, qui a trouvé chez les Salutistes une voie qui convient à ses incertitudes et à ses failles, est absolument parfait (il est vrai qu’il était Genevois). Et Louis (René Alexandre), le mutilé et aveugle de guerre est épatant.
À me relire, je m’aperçois que, dans ma longue logorrhée d’avis épandus ici et là, celui que je viens d’écrire est sûrement un des plus injustes et mal argumentés. Ça me gênerait presque…