Je crois que l’on ne se souvient plus beaucoup aujourd’hui de Michel de Saint-Pierre , qui connut pourtant, dans les années Cinquante et Soixante, un immense succès. Un peu comme (à gauche, si l’on peut dire) (Gilbert Cesbron (Chiens perdus sans collier) ou (à droite, carrément) (Jean de La Varende) (Nez-de-cuir). Issu d’une vieille famille normande, résistant, royaliste, philosémite (membre de la LICRA), catholique de plus en plus traditionaliste. Contrairement à ce que les gazetiers incultes croient, les positions ne sont jamais simples.
L’écrivain avait remporté beaucoup de suffrages avec son roman Les aristocrates (1954), adapté à l’écran de façon assez heureuse l’année suivante par Denys de La Patellière avec un superbe Pierre Fresnay : description d’un milieu figé de la noblesse de province, déchiré entre le respect rigide (mais non sans élégance) de la tradition et les aspirations à la modernité (non sans risques). Mais qui pouvaient bien être Les nouveaux aristocrates, sans particules, ni longues généalogies ?
L’idée n’est pas mauvaise de transposer une même réflexion dans un milieu urbain : de l’opulence, mais plus guère la stricte étiquette qui régnait dans les châteaux de province. Une très belle villa du côté de La Celle Saint Cloud ou de Versailles ; c’est à peu près la même époque (le milieu des années 50), mais c’est toujours le même monde : on respecte les mêmes orientations, mais on les vit de façon différente. Le docteur Pierre Rousseau (Yves Vincent) est un chirurgien reconnu, révéré, admiré par ses pairs et par les institutions. Marié à la délicieuse, intelligente, séduisante (et peut-être fidèle) Élisabeth (Maria Mauban), il vit une existence de séducteur assez libre, préservant la sorte d’imposture admise par tous ceux avec qui il vit. Avec sa femme et ses deux enfants, Marie-Bénédicte, dite Mab (Catherine Sola) et le jeune, brûlant Denis (Charles Belmont) qui, avec quelques galopins de son âge, tente de semer le feu révolutionnaire au milieu de la belle bourgeoisie des alentours de Versailles. Il est ce qu’on appelait de mon temps (à peu près le sien) un ‘’esprit fort’’, un jeune homme qui regimbe aux déterminations familiales et aux règles sociétales.
Élève d’une institution jésuite, il est décontenancé par le départ du professeur de philosophie qu’il adulait, M. Sauvageot, laïc très ouvert à la modernité et par l’arrivée, en remplacement du P. de Montbrun (Paul Meurisse) qu’il soupçonne d’emblée et sans raison d’être ‘’un suppôt de la Réaction’’. La faille, le défaut principal du film est de faire cohabiter sans assez de talent (chez le romancier et le réalisateur) deux, voire trois intrigues, certes compatibles, mais mal arrangées. D’abord la vie pleine d’hypocrisie des grands bourgeois Rousseau, qui tentent de ménager le vernis social, à coup de tenue un peu stricte et de réceptions mondaines (avec l’avocat d’assises Jacques Monod , l’écrivain académique Éloi Dolimaire Jean Ozenne), possible amant d’Élisabeth, la mère de famille trompée mais aussi légère ou presque que son mari).
Puis les émois juvéniles du jeune Denis, partagé entre son éducation très bourgeoise, ses aspirations révolutionnaires et, sentimentalement son attirance dispersée entre la sage Sylvie (Janine Vila) et la sensualité dévorante de Milou (Mireille Darc, dont c’est le deux ou troisième rôle au cinéma). Enfin la puissance intellectuelle et le poids que prend, dans le collège catholique, le P. de Montbrun (Meurisse, donc) qui, par sa clairvoyance, sa douceur d’être, son ouverture, finit par rassembler autour de lui tous les jeunes demi-sel qui se pensent révoltés et intransigeants. Tout cela, qui n’est pas incohérent, pourrait être habilement mêlé, habilement construit ; ce n’est malheureusement pas le cas. Et, de toute évidence, ça se termine assez bien, même si les parents Rousseau finissent par divorcer. Le jeune Denis, embringué dans ses problèmes spirituels et la difficulté de choisir entre les deux filles dont il a simultanément envie, finit par se décider à vivre.
What else ?