Féroce
Alors que la plupart des amateurs s’accordent pour donner aux Monstres une légère longueur d’avance sur Les nouveaux monstres, tout en reconnaissant leur immense qualité, je me demande, après avoir revu il y a peu le premier, et hier le second si je ne préfère pas la deuxième mouture à l’original.
Ce qui est un peu absurde, en soi, parce que, évidemment, comme dans tous les films à sketches, il y a des différences de niveaux entre les séquences, des inégalités, des sommets et des moments un peu plus plats et que l’idéal serait évidemment de picorer le meilleur dans chacun des films…
N’empêche que je suis encore sous l’emprise (on n’ose pas écrire sous le charme) du film de ce trio infernal Monicelli/Risi/Scola, bien aidé par des scénaristes du tonnerre et que, malgré tout ce que l’on a pu dire ici et ailleurs sur le scandale de la seule version française du DVD, je ne me remets pas de la violence, de la virulence, de l’acidité éblouissantes des Nouveaux monstres.
Peut-être parce qu’il y a une sorte de montée chromatique dans la composition du film vers une férocité de plus en plus forte, les deux premières histoires, Le rossignol du Val padouan et Tantum ergo étant plus sarcastiques, acides que vraiment cruelles… Mais, écrivant cela, je me rends compte immédiatement que le troisième sketch, Auto-stop, cette jeune fille lumineuse, drôle, spirituelle (Ornella Muti) abattue par une sorte de beauf gluant suant de trouille est d’une brutalité, d’une méchanceté bluffantes.
En fait, je crois que la structuration des Nouveaux monstres est absolument remarquable, et après qu’elle a poussé le bouchon très loin dans l’horrible, l’insoutenable (Pornodiva, évidemment), sait faire redescendre la tension et le dégoût avec la bouffonnerie un peu facile de L’auberge (sans doute à la fois inspirée du Tord-boyaux, la chanson de Pierre Perret et du sketch des Camionneurs de Jean Yanne et Paul Mercey). De la même façon, après le glaçant Sans parole (où Ornella Muti, décidément sacrifiée, est pulvérisée par une bombe terroriste) survient le désopilant, grinçant, dérisoire Éloge funèbre avec un Alberto Sordi au sommet de son art…
Quelques légères faiblesses ? Sans doute les sketchs Premiers soins, un peu languissant où Sordi, snobissime, essaye de refiler un blessé à un hôpital, et Petite maman, qui se complait avec une certaine délectation dans la crasse, avec un Tognazzi trop clownesque… (mais ayant dit cela, je me trouve injuste, tant c’est virevoltant et bien filmé)…
Et pour moi le sommet, comme l’était Noble art dans le premier volume, c’est Comme une reine, cette toute petite vieille qui découvre que son fils (Sordi encore) ne la promène en voiture que pour la conduire dans un hospice à la fois bien-pensant et désespérant. Elle a les larmes aux yeux quand elle s’aperçoit qu’elle va être abandonnée là, comme un vieil animal inutile. Et nous ne sommes pas loin nous non plus de les avoir aussi…
Il y a de flamboyants et convaincants plaidoyers en faveur des versions doublées. Évidemment, il y a plein d’exceptions à cette règle.
Il y a, de surcroît, de l’exception dans l’exception, si j’ose écrire : regardant hier le DVD dont nous sommes plusieurs à avoir critiqué l’existence en seule VF, je passais par toutes les étapes de la guerre civile permanente que déclenche en soi, pour les cinéphages que nous sommes, la question du doublage ; et les arguments des uns et des autres chatoyaient et se succédaient, me plongeant toujours vers une plus grande perplexité (en fait il faudrait toujours regarder un film dans ses deux versions ; et c’est possible, pour Les nouveaux monstres, dans cette édition, pour trois sketchs, qui sont en VOST dans les suppléments).
Cela étant, la limite de l’exercice apparaît assez drôlement dans le dernier sketch du film, l’enterrement de l’artiste : Alberto Sordi prononce donc en français son discours et je concède volontiers qu’on perdrait beaucoup du sel du récit en plaçant en sous-titres les éructations (un grognement, un sifflement, un hoquètement) d’une saynète à succès de son partenaire décédé : le doublage – à la manière du regretté Ouvrard (souvenez-vous : J’ai la rate qui s’dilate, j’ai le foie qu’est pas droit) – est absolument remarquable. Mais immédiatement ensuite, Sordi commence à chanter et tous les artistes, camarades du défunt, entament une sarabande autour de la tombe : cette partie-là est – à juste titre – totalement en italien…
Ah, aussi ! Un mot pour regretter le commentaire agressivement gauchiste et engagé du supplément qui survole l’histoire et les fondements de la comédie italienne. Entre critique féroce et discours militant, il y a une marge, franchie sans humour par les concepteurs du supplément. Dommage.