Égarements des cœurs et des corps.
Il y avait deux raisons pour moi, d’aller voir ce drôle de film incertain. La première, bien anecdotique, c’est que nous avons vécu, en famille, huit années, de 1975 à 1983, au 22ème étage d’une des tours de cet ensemble immobilier des Olympiades, dont tous les immeubles portaient le nom d’une des cités qui avaient reçu les Jeux Olympiques. La nôtre était la tour Anvers (JO de 1920) et, hormis des appartements de fonction en province, nous n’avons jamais eu de plus agréable résidence. Notre appartement, vaste et bien composé était orienté Nord-Ouest, ce qui permettait à la fois une vue sur l’immensité et la beauté de Paris et sur des couchers de soleil somptueux ; je pensais donc que nous allions, 35 ans plus tard, revenir un peu dans un quartier très apprécié.
Surtout c’est que Les Olympiades est un film de Jacques Audiard ; un réalisateur important dans le cinéma français d’aujourd’hui, auteur de films presque toujours intéressants, en tout cas non négligeables (Un héros très discret, De rouille et d’os, Dheepan) et même extrêmement réussis (Un prophète). Talent original, histoires bien construites, jeu d’acteurs maîtrisé. Quelqu’un qui fait un peu songer aux très bons artisans de la Qualité française de jadis, bâtisseurs solides capables d’obtenir de grands succès sans mépriser leur public.
Alors je ne sais pas du tout ce qui a pu lui prendre de s’adjoindre la collaboration de Céline Sciamma pour adapter trois histoires d’une même bande dessinée. Céline Sciamma est une réalisatrice féministe très appréciée par la critique intellectuelle ; elle est aussi de celles qui, derrière son ex-compagne Adèle Haenel ont fait scandale après que le grand Roman Polanski a obtenu la Palme d’or cannoise pour J’accuse ; comme si le talent avait quelque chose à voir avec les frasques privées !!
Et donc je pensais naïvement, sans avoir perçu l’influence de la pétrôleuse Sciamma, que le film aurait pour grande vedette l’étrange quartier des Olympiades, le Chinatown parisien, potentiellement si photogénique : dalle urbaine ventée, hérissée de tours et de grandes barres, couloirs, coursives, entrailles mystérieuses, voiries souterraines sombres et souvent inquiétantes, caves squattées où, dit-on, poussent des tonnes de germes de soja et où de petites mains asiatiques confectionnent nems et rouleaux de printemps, vues surprenantes qu’on peut avoir des étages élevés (les hautes tours culminent à 104 mètres, 33 étages), grouillement permanent de l’ensemble.
Mais Audiard ne se sert pas, ou à peine de cette atmosphère singulière qui n’est pour lui que décor et prétexte. Il filme une histoire à la fois emberlificotée et très classique, avec des relents saumâtres. Surtout il coche toutes les cases du wokisme impérieux, avatar ultime du politiquement correct.
Trois personnages principaux et un autre, un peu de raccroc. D’abord le mâle, le garçon, l’étoile : Camille (Makita Samba), beau Noir séduisant et séducteur, professeur dans un lycée proche et qui envisage de préparer l’agrégation de Lettres modernes. Puis Émilie (Lucie Zhang), Taïwanaise un peu paresseuse, courtaude, potelée et sexy, qui squatte l’appartement de sa grand-mère mourante, travaille vaguement dans un call-center qui la licencie à cause de son agressivité envers les clients. Et enfin, fraîche et charmante, Nora (Noémie Merlant) qui débarque de Bordeaux pour, sans doute, se délivrer de l’emprise de son oncle, agent immobilier, qui couche avec elle depuis dix ans. Supplément de programme, Amber Sweet, dont le vrai prénom est Louise (Jehnny Beth, qui fut jadis Camille Berthomier), qui joue le rôle d’une cam-girl de site porno et qu’une vague ressemblance avec Nora, dans un hasard tiré par les cheveux (ou plutôt la perruque blonde !!!) va introduire dans le méli-mélo.
Pour faire court, on dira que le beau Camille couche avec Émilie (mais pas que, comme disent les jeunes), couche aussi avec Nora (à qui ça ne plaît pas vraiment), puis que Nora noue avec Amber sweet une relation amoureuse. Tout ça n’a rien d’invraisemblable, mais c’est bien mal cousu et les histoires, en elles-mêmes plausibles, ne se marient pas, ne s’imbriquent pas.
Les acteurs ont du talent, les corps sont montrés avec une certaine complaisance, le Noir et Blanc répond aux normes esthétiques convenables. Mais on s’ennuie assez, sans s’attacher jamais aux personnages : des gens qu’on n’a pas très envie de rencontrer dans la vie, d’ailleurs.