Pesante influence de Sartre
On ne peut pas dire que les frères Allégret, fils d’un pasteur ami d’André Gide (que Marc accompagna dans son « Voyage au Congo« ), on ne peut pas dire que les frères Allégret soient autre chose que d’honnêtes artisans du cinéma français ; un peu mieux le cadet, Yves, qui, au moins a donné au moins deux excellents films, (Dédée d’Anvers et Les miracles n’ont lieu qu’une fois, et un chef-d’oeuvre de désespérance, Manèges, comparable en noirceur au superbe Voici le temps des assassins de Duvivier)…
Dès que le DVD des Orgueilleux est paru (chez René Château, beurk…) je l’ai acheté et je l’ai vu hier, je crois bien pour la première fois.
Gérard Philipe et Michèle Morgan y sont égaux à eux-mêmes, c’est-à-dire catastrophiquement mauvais, pour des raisons à la fois analogues et différentes : pour être convenables au cinéma, ils avaient besoin d’être tenus, guidés, dirigés par un grand réalisateur, lui parce qu’il était – paraît-il ; qui de nous l’a vu jouer ? – un grand comédien ; elle, parce qu’elle était une très mauvaise actrice ; quand il rencontre Duvivier, il est excellent dans Pot-Bouille; quand elle croise René Clair, elle est lumineuse dans Les grandes manœuvres; mais Yves Allégret n’est pas de cette pointure…
Toutefois, au delà des outrances hystériques de lui, et des manifestations quasi-lacrymales d’elle, je me disais que, pour un film dialogué et adapté par Jean Aurenche, l’invraisemblance du récit, le pittoresque faux, le happy end nigaud…ça ne collait pas !
Et puis j’ai vu que le scénario original était de Jean-Paul Sartre ; j’ai compris pourquoi je me suis ennuyé. Le phare de la Pensée française avait encore frappé…
Il est évident que la mythologie de l’exotisme poisseux et débilitant a irrigué toute une grande partie de la littérature et du cinéma français, avec ses décavés, ses ratés ou ses têtes brûlées qui partaient au loin vivre quelque chose que la Métropole ne leur donnait pas (il y a une très grande différence entre la très minime en nombre émigration de France, faite justement souvent d’aventuriers, de types louches ou de chercheurs de fortune à bon compte, et les émigrations des autres pays d’Europe, souvent types déterminés et courageux, quittant leur pays par nécessité : il a toujours été plus doux de vivre en France qu’ailleurs, on le sait bien !).
Si je trouve ennuyeux Les Orgueilleux,ce n’est donc évidemment pas parce qu’ils se passent sous un climat de touffeur, d’ennui et d’alcool : il y en a au moins autant dans Le salaire de la peur – qui se passe en Amérique latine – mais aussi et surtout dans l’admirable Coup de torchon de Tavernier ; c’est la faiblesse générale du récit, de la mise en scène et des acteurs qui m’insupportent. Que le ventilateur rafraîchisse le ventre de Michèle Morgan (et, parallèlement, échauffe les sens de beaucoup), ce serait très bien si les Plus beaux yeux du cinéma français avaient été aux miens, d’yeux, (que j’avoue nettement moins spectaculaires) autre chose qu’un glaçon toujours perdu dans les brumes du Quai éponyme…