Dieu sait si l’époque était prétentieuse ! L’époque ? Celle de mes vingt ans, celle de la Nouvelle vague, celle des expérimentations, celle où le cinéma avait des ambitions et se voulait encore le 7ème art ; en tout cas pensait avoir de l’importance dans le cheminement des idées. Alors que, sans doute, il ne faisait que suivre cette longue houle irrépressible que nous pouvons tous constater en nous effarant qu’elle existe mais contre quoi il est impossible de se dresser, sauf pour la beauté du geste. Voilà qui peut paraître bien obscur pour qui ne se rappellerait pas que Les petites marguerites, qui date de 1966, ne font que précéder de deux ans ce qu’on a appelé le Printemps de Prague, la tentative désespérée d’Alexandre Dubcek de sauver l’idée même de l’idéologie communiste. Tentative qui dura moins de 8 mois avant que le Pacte de Varsovie ne sifflât la fin de la récréation le 21 août 1968.
Vera Chytilova profite de l’état de vague respiration en apnée de son pays pour tenter de rejoindre les billevesées et coquecigrues de la Nouvelle vague française, des puériles momeries de Jean-Luc Godard et de ses épigones : ça déconstruit un maximum comme aujourd’hui le bien plus encore dangereux wokisme prétend démolir trois millénaires de civilisation. En 1966-67, on n’avait qu’à interdire la diffusion du film et ça fonctionnait. Je ne dis pas qu’on avait raison, mais enfin on pouvait encore imposer quelque chose. C’est fini, pour l’instant, tellement la glue s’insinue dans tous les domaines, comme le font les monstruosités épouvantables dans les films d’horreur.
Vera Chytilova, inspirée par une grande conscience humaniste qui appelle le spectateur en poser en parallèle les puériles conneries commises par ses deux héroïnes et la brutalité intrinsèque du monde, prétend nous questionner (c’est bien le mot qu‘ils disent, non ?). Comment peut-on prendre la vie au sérieux pendant que tant d’horreurs nous accablent ? Doux Jésus, quelle innovation de pensée ! Quelle redoutable intuition ! Quel magnifique coup de poing porté aux idéologies !
Donc deux péronnelles qui s’ennuient, deux parasites inutiles, plutôt bien gaulées mais qui semblent n’avoir pas lu trois livres dans leur vie (remarquez, ça nous change des héroïnes de Godard) décident de devenir dépravées pour manifester, proclamer haut et fort leur propre inutilité et, c’est sous-entendu, le mépris qu’elles ont pour le monde. L’une et l’autre s’appellent Marie ; il y a Marie 1 (Jitka Cerhová, la brune) et Marie 2 (Ivana Karbanová, la blonde) : on n’en saura pas beaucoup plus : ce sont des images, des figures, des symboles, des allégories, des faux-semblants, des archétypes : l’époque voulait cela. Et les deux insignifiantes décident de devenir mauvaises ; idioties minables, séduction sans aboutissement de trois ou quatre barbons ridiculisés et grugés, refus de toute règle, destructions systématiques. Ça dure, ça dure…
Le film n’est pas long – 1h14 – mais il est interminable. Les deux filles – dont le minois et la tournure, j’y reviens, ne sont pas désagréables – fatiguent par leur puérilité niaise. À la fin, voilà qu’elles saccagent consciencieusement, avec une grasse volupté, tous les plats préparés d’un banquet. Elles se déshabillent, salissent, polluent la pièce jusqu’à ce qu’un gigantesque lustre leur tombe sur la tête. Proches de disparaître, elles proclament qu’elles vont s’amender. Bernique !
Je ne mets pas en cause la bonne foi de ceux qui ont apprécié le film qui, il est vrai, tranche par son originalité sur la plupart des productions de l’époque. Mais enfin, cette originalité mise à part, qu’est-ce qui peut bien rester des Petites marguerites ?