Vieillot, insignifiant, charmant.
Curieux, charmant, léger petit film, absolument insignifiant et jamais ennuyeux, en tout cas pour ceux qui aiment les acteurs et s’amusent à reconnaître, au gré d’une séquence, une silhouette, un profil, une voix célèbres et à grappiller, en surcroît, le souvenir d’un de ces deuxièmes ou troisièmes rôles dont on oublie souvent le nom mais dont on reconnaît la trogne ; Dieu merci, Imdb permet désormais de corriger ces ignorances…
Un peu d’archéologie cinéphagique d’abord : Les petits matins se sont primitivement appelés Mademoiselle Stop, du fait des modes de transport continuellement employés par la dite demoiselle et n’ont dû ce changement de nom qu’au grand succès de la chanson de Charles Aznavour en générique de début et de fin ; ils ont été réalisés par Jacqueline Audry, spécialiste de l’adaptation d’histoires assez scabreuses de Colette, (Gigi, L’ingénue libertine, Mitsou) et réalisatrice de la très sulfureuse Garçonne, d’après le roman de Victor Margueritte dont la publication, en 1922, entraîna un tel scandale que l’auteur se vit retirer sa croix de la Légion d’Honneur.
Qu’on ne s’attende pas, dans Les petits matins, à des chocs dévastateurs de sensualité, mais, bien dans la ligne des héroïnes de la grande Colette, à des assauts légers d’amoralité presque naïve d’une héroïne, sensuelle par complexion, volage par nature, hédoniste par évidence.
Et comme cette héroïne a le charmant minois d’Agathe Aems (présentée au générique comme figurant pour la première fois à l’écran – j’ajouterai sans cynisme, que ce fut d’ailleurs la seule fois -), comme la jeune fille, qui avait alors 18 ans, est gracieuse, mutine, adorable, on la suit volontiers dans ses pérégrinations pour rejoindre la Côte d’Azur en partant de La Panne, glaciale station belge de la Mer du Nord où elle a gagné un séjour de deux semaines, en guise de lot de consolation d’un concours de secrétariat.
était la sœur (très) cadette de Marie Daems, assez notoire actrice des années Cinquante, mais dont le principal titre de gloire, hors d’avoir été la vedette féminine de l’intéressant Air de Paris de Marcel Carné, était d’être la femme, à l’époque, de François Périer (qui joue un rôle assez amusant de viveur plutôt brave type dans le film, d’ailleurs).
Plein d’acteurs, donc, pour accompagner le périple d’Agathe vers le Sud où elle s’arrêtera à Cassis, rencontrant là l’amour de Jean-Claude Brialy ; plein d’acteurs, de toutes les statures et de tous les âges : on quitte Darry Cowl, dragueur pluvieux de La Panne, on saute à Fernand Gravey, vieux beau attendri et courtois, à Francis Blanche, douanier hystérique puis patelin… On passe la frontière française (du temps où entre Belgique et France, il y avait de vraies frontières avec de vrais douaniers…), on hésite à monter dans la bizarre auto d’un entraîneur de boxe amateur (Pierre Mondy) et de son poulain (Roger Coggio) ou dans la Cadillac Eldorado de deux gandins émoustillés (François Périer, donc, et Claude Rich) et, pour échapper à l’un d’eux, on dort sur le palier d’un séduisant pilote de ligne, Gilbert Bécaud qui, un an avant la chanson, emmène Agathe à Orly…
Repérée au bar de l’aéroport par un industriel qu’on devine libidineux (À mon âge, la jeunesse des autres, c’est ma dernière ressource !), mais aussi réaliste en affaires et plutôt rapiat, Pierre Brasseur, Agathe se retrouve à Fontainebleau, entame un flirt avec un comédien de tournées de province, Daniel Gélin, lui fait répéter Cyrano, le quitte, est prise au vol par un chauffeur qui conduit un car à la casse, à Lyon, Lino Ventura, n’aurait rien contre un petit moment agréable avec lui, qui renonce à l’oiselle par fidélité à sa femme (constante venturéenne !).
Elle croise un instant un vieux gentilhomme en tilbury, veuf et romantique, Noël-Noël, puis un type très inquiétant, châtelain assassin compulsif et draculesque, Robert Hossein et monte dans la 2CV d’un marchand de meubles, Bernard Blier qui la dépose à Valence où il vit une jolie histoire d’amour lumineuse et tardive avec une Arletty belle comme tout.
Quelques kilomètres encore dans la Jaguar d’un champion de tennis (Michel Le Royer) et d’une autre auto-stoppeuse très très délurée, Andréa Parisy, puis c’est Cassis et la rencontre, donc, avec un Brialy dont elle tombe amoureuse…
Le voyage est assez lent, assez marqué pour qu’on reconnaisse paysages et villes traversées, du Nord au Midi, les aventures sont à la fois invraisemblables et cohérentes, ce n’est jamais emprunté, mais toujours agréable…
Un bon moment sans aucune importance sur quoi je me suis trop longuement étendu ? Sans doute… Mais si je ne parle pas de ce petit film-là, qui en parlera jamais ? Et ce n’est que lorsqu’on n’en parle plus que, comme les hommes, les films meurent…