Quelle joie de vivre !
Les sept femmes de Barbe-Rousse, c’est, bien sûr, l’histoire renouvelée de l’enlèvement des Sabines en 1850, dans les paysages photogéniques et enneigés de l’Oregon, mais je serais bien étonné que les scénaristes – qui n’ont pas, pour une fois, adapté un musical de Broadway, mais écrit une histoire originale – n’aient pas songé, pour faire démarrer le film, à Blanche Neige et les sept nains.
Bien sûr, dans le film de Stanley Donen, les pistes sont un peu brouillées et le Prince Charmant, Adam Pontipee (Howard Keel), n’est autre que l’aîné et le chef de la Bande des Nains, qui, en fait, ne sont pas des Nains, mais de robustes bûcherons roux. Vous me suivez ? C’est donc que vous avez vu le film, parce que je crains, là, sinon, d’être un peu compliqué et même obscur.
Ça ne fait rien ! Je poursuis mon parallèle.
Donc, le Prince Charmant, après avoir chanté une jolie chanson où il explique que celle qu’il épousera aura une peau de pêche, séduit d’un seul coup d’œil Blanche-Neige qui, pour mieux détourner l’attention, s’appelle dans le film Milly (Jane Powell), l’épouse et l’emmène dans la grande maison où il vit avec ses six frères. C’est évidemment là que la ressemblance s’impose, puisque d’une caverne crasseuse et anarchiquement désordonnée, et de six beaux-frères hirsutes et velus, dotés, ainsi qu’il sied dans un pays protestant, de prénoms bibliques (Benjamin, Caleb, Ephraïm, Gédéon), Blanche-Neige va faire un petit paradis.
C’est là que l’histoire des Sabines commence vraiment.
Vous me suivez toujours ? Les douceurs de l’hyménée ayant touché les cœurs de ces garçons sauvages, ils ne rêvent plus que de suivre l’exemple de leur Prince Charmant de frère aîné. Ils descendent à la ville, plaisent à des belles, mais sont bien contraints de remonter dans leurs montagnes.
Gros soupirs au moment où le terrible hiver arrive. Et là, l’idée délicieuse et farfelue, inspirée du récit de Plutarque, d’aller tout simplement ravir leurs belles au village. Ce qu’ils font, au grand dam initial des dites belles qu’on ravit à la Civilisation (enfin…ce que pouvait être la Civilisation dans un coin perdu de l’Oregon en 1850).
Et comme ils déclenchent habilement une avalanche qui les coupe irrémédiablement des villageois, pères, frères et fiancés qui les poursuivent à cor et à cri pour toute la durée de l’hiver, le tour est joué (enfin, je passe sur les péripéties qui aboutissent à ce que les frères séduisent les péronnelles initialement effarouchées : tout se termine très bien par une naissance – celle de la fille de Blanche-Neige et du Prince Charmant – et six mariages…)
Ce film est un délice, et je pèse mes mots ; alors qu’il disposait d’un budget très médiocre, le contraignant à trop souvent tourner devant des toiles peintes en studio ce qu’il voulait primitivement réaliser en décors naturels, Donen utilise à merveille un Cinémascope encore débutant, réalise des prodiges avec la couleur, met en scène des acteurs relativement peu connus (à noter Russ Tamblyn, futur chef des Jets de West Side story).
Tous les cinéphages connaissent – ou devraient connaître – la longue séquence où les frères Pontipee et les garçons du village rivalisent dans l’enchantement des pas de danse pour séduire les jeunes filles, puis dans une sorte de concours d’acrobatie où, naturellement, les Pontipee l’emportent ; c’est prodigieux de rythme, de couleur, d’allégresse, de virtuosité chorégraphique (et de montage !) ; mais la construction/destruction de la maison et la bagarre qui s’ensuit, la séquence nostalgique où les bûcherons solitaires se lamentent, le ballet des Sabines enlevées en corset et pantalons bouffants… tout est formidablement réussi…
Et Stanley Donen n’avait pas encore trente ans…