Les Tontons flingueurs

« Touche pas au grisbi ,salope ! »

Je veux bien qu’on cherche des noises aux Tontons flingueurs, qu’on les prenne de haut, qu’on trouve que le scénario n’est pas bien construit, que les acteurs en font des tonnes, que les dialogues de Michel Audiard envahissent l’espace au point de ne pas laisser grand chose d’autre demeurer (sinon la musique de Michel Magne…). Je veux bien qu’il y ait ici et là des longueurs, que Georges Lautner tire ici et là à la ligne, par exemple lors de la visite pré-nuptiale – si j’ose dire – d’Amédée Dieulafoy (magnifique Pierre Bertin soit dit en passant). Je veux bien que ce cinéma d’une extrême franchouillardise parfaitement assumée (fumet du bœuf miroton, de la blanquette de veau, du gigot-flageolets, du poulet rôti et du navarin d’agneau) puisse agacer dans une époque où cette France-là, qui fut si douce, est sommée de s’adapter à un monde mondialisé.

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Je veux bien tout ce qu’on veut. N’empêche que j’aimerais bien me placer dans cinquante ou cent ans, quand les historiens du cinéma français (si historiens, cinéma et France existent encore) évoqueront le paysage du début du 21ème siècle et la célébration, l’an dernier, du cinquantenaire des Tontons flingueurs. 51 ans désormais que le film rayonne, fascine, capte l’attention alors qu’il a été vilipendé ou davantage encore méprisé lorsqu’il est sorti sur les écrans et qu’il n’a récolté, depuis 1963, dans les encyclopédies du cinéma, qu’une condescendance hautaine et des jugements supérieurs. (C’est amusant, d’ailleurs, de comparer le jugement porté sur ce film par la doxa, le camp intellectuel émérite et celui porté par les mêmes gens sur le vote des Français : la populophobie a toujours fait partie de l’arsenal des malins). On a beau faire les glorieux, l’osmose, la juxtaposition, la médication qui unissent Lino Ventura, Bernard Blier, Francis Blanche, Claude Rich, Robert Dalban, Venantino Venantini  apparaissent comme une sorte de miracle, c’est-à-dire comme une grâce qui ne peut être expliquée.

Donc, 51 ans après, le film – un peu – et les grandioses répliques de Michel Audiard – beaucoup – sont présentes si fort dans les mémoires  qu’il est  devenu trésor national, qu’elles sont devenues si évidentes que beaucoup seraient en peine de préciser et de donner l’origine de dispersé, façon puzzle ou de Les cons, ça ose tout. C’est merveilleux de passer ainsi dans le langage courant ; et ça déborde donc largement la notion de « film-culte », qui est destinée à un public à la fois ciblé et fanatique, alors que le  jargon des Tontons fait désormais partie de notre environnement.

Dès lors pourquoi ne pas considérer le film en dehors de tout jugement critique, mais plutôt comme un des impacts majuscules donnés par le cinéma à une atmosphère, à un moment où la Société tout entière s’est reconnue ? De fait, il y a sans doute plus de folie surréaliste dans Les barbouzes, un scénario mieux construit dans Le monocle rit jaune, une plus grande audace dans Galia, mais ce sont Les Tontons qui scellent le cinéma de Lautner dans notre imaginaire. Et qui en font, davantage qu’un film, un phénomène sociétal bien au delà du cinéma.

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