Belle fille, tristes villages…
Il n’y a pas beaucoup de rapports entre tout ça, mais tout de même en revoyant L’été en pente douce, plusieurs films me sont venus en tête, au hasard des images et au hasard des séquences. Un peu de Canicule d’Yves Boisset, pour le côté sordide, en beaucoup moins violent, toutefois. Un peu de 37°2 le matin de Jean-Jacques Beineix pour la survenue de la belle fille qui perturbe les équilibres masculins. Un peu de L’été meurtrier de Jean Becker pour la même raison et aussi par ce regard plongé sur les périphéries, sur la province profonde. Un peu de Sans toit ni loi d’Agnès Varda parce que le film se passe dans une contrée moche, plate, ennuyeuse, le Mauvais Midi, comme nous autres Provençaux l’appelons. Rien à voir ou peu à voir entre les intrigues, les personnages, les histoires. Rien à voir. Un seul rapport : l’époque. La décennie où tous ces films ont été tournés.
Canicule : 1984. 37°2 : 1986. L’été meurtrier : 1983. Sans toit ni loi : 1985. Et donc L’été en pente douce en 1987. Quelle conclusion vais-je en tirer ? Je ne sais pas trop, je ne suis pas certain d’être tout à fait pertinent. Mais ça ressemble tout de même assez aux derniers feux de la France d’avant, de la France à la population encore un peu mieux répartie sur le territoire ; dans tous ces films il n’y a pas de métropole mondialisée, il n’y a pas de banlieue métissée. L’abominable et talentueux Philippe Sollers avait appelé ça La France moisie en 1999. La France moisie, rappelez-vous, c’est la force tranquille des villages, la torpeur des provinces, la terre qui, elle, ne ment pas, le mariage conflictuel, mais nécessaire, du clocher et de l’école républicaine. Aujourd’hui, vingt ans plus tard, on peut dire que c’est la France des gilets jaunes (ceux des ronds-points, non ceux fascinés par les black blocs).
Toujours est-il que L’été en pente douce est une sorte de petit miracle dans la carrière friquée et dégueulasse de Gérard Krawczyk. Friquée, parce que le bonhomme a réalisé plus tard deux ou trois ou quatre films (ou plus ou moins, ça a si peu d’importance) de la série Taxi qui est une sorte d’abomination ; et dégueulasse, ce qui est bien pire, pour avoir eu le culot de mettre en scène des remakes injustifiés. Je peux bien lui pardonner Fanfan la tulipe, parce que le film originel, celui de Christian-Jaque m’a toujours paru surévalué ; mais oser toucher à L’auberge rouge un des plus grands films de Claude Autant-Lara pour en faire une parodie pathétique est une très mauvaise action, idiote par ailleurs et qui n’a eu aucun succès (bien fait !).
Il est bien certain que la beauté un peu niaise, un peu primaire et la plastique absolument parfaite de Pauline Lafont ont fait beaucoup pour le succès (un peu oublié, désormais) du film. Son titre aussi, très euphonique, qui vient du roman adapté de Pierre Pelot. Mais en fait il faut chercher un peu plus loin que la chute des reins et les seins magnificents de la jeune femme.
Dans la France morte, alcoolisée, machiste, sexiste, violente, lubrique, imbécile et brave fille, généreuse, désespérante et sympathique où beaucoup de gens pouvaient se reconnaître. Les tournées interminables au bistrot, les ricanements idiots, les jalousies violentes, la jactance devant le petit monde devant qui on est quelqu’un, cette sorte de familiarité campagnarde qui allie complaisance, connivence et détestation, c’est évidemment quelque chose de réel.
L’intérêt du film est donc évidemment l’atmosphère lourde, poisseuse, caniculaire du patelin de Haute-Garonne où se situe l’intrigue bien plus que l’intrigue elle-même. Si excellents comédiens qu’ils peuvent être, on a le sentiment que tous les interprètes ont été choisis pour incarner leur archétype : Pauline Lafont la belle fille naïve qui est si peu avare de ses charmes qu’elle les prêterait volontiers à tous ceux qui les lui demanderaient gentiment ; Jean-Pierre Bacri l’habituel râleur teigneux bas de plafond mais bien honnête finalement ; Jacques Villeret le débile léger très touchant, très gentil, très attachant ; Guy Marchand le vicelard, faux-cul, sale type, avide, libidineux, plutôt lâche ; Jean Bouise le taiseux indifférent à presque tout (personnage mal mis en avant au demeurant). Et tout le reste de la distribution à l’avenant.
Ça enfile pas mal d’évidences et ce n’est pas désagréable à suivre, au demeurant. Et puis ça nous permet de nous redire une nouvelle fois que si la firme Citroën avait inventé la plus belle voiture du monde, la DS, elle avait aussi mis sur le marché la plus épouvantable, l’Ami 6.