Soleils joyeux de la Provence.
On ne m’avait pas dit que du bien de cette ultime réalisation de Marcel Pagnol, adaptation de quelques unes des immensément connues des Lettres de mon moulin du nîmois Alphonse Daudet, adaptation qui apparaissait presque, en 1954, comme une évidence, en une époque où trois quarts de siècle de félibrige, de cigales, de lavande, d’aïoli et d’accent parfumé avaient porté la Provence en une sorte de pinacle imaginaire jamais égalé depuis lors : les films de Pagnol lui-même, ses adaptations de Giono (si critiquables et ambiguës qu’elles ont été ; voir plusieurs débats que nous avons eu sur ce point, notamment sur le fil de Regain), mais aussi toute la troupe des artistes marseillais, et puis Fernandel, Vincent Scotto, Raimu, ainsi de suite…
Donc, évidence d’une adaptation de Daudet, de trois de ses récits qu’aucun Français de l’époque ne pouvait ignorer, tant ces histoires nourries de mistral, de romarin et d’oliviers ont nourri notre imaginaire collectif au moins jusqu’aux dégâts iconoclastes de mai 68.
Les quatre nouvelles qui figurent dans l’excellente et très bien restaurée édition de la Compagnie méditerranéenne de films sont sûrement les plus connues du recueil ; ne manque que La chèvre de Monsieur Seguin, sûrement très difficile à adapter.
J’ai écrit quatre nouvelles, alors que le film de 1954 n’en compte que trois ; c’est que la CMF a eu l’excellente idée de compléter son édition par une adaptation du Curé de Cucugnan également réalisée en 1968 par Pagnol et où Roger Crouzet, dans le rôle de Daudet lui-même, metteur en scène de ses histoires, fait le lien. (On me souffle que Daudet n’était pas l’auteur unique de ce conte, aussi attribué à Paul Arène, autre auteur provençal, de moindre renom).
Cette adaptation pour la télévision est entièrement centrée sur le sermon d’un éblouissant Fernand Sardou, bon acteur de second plan qui fait là étalage d’une verve, d’une bonhomie, d’un talent absolument remarquables. Cette évocation en chaire, lors de l’homélie dominicale, d’un rêve qui voit le brave curé découvrir qu’aucun habitant du village n’est inscrit dans les registres du Paradis, ni même dans ceux du Purgatoire mais que tous ceux qui sont morts depuis trente ans brûlent en Enfer, dans d’horribles tourments, lui permet, en terrifiant ses ouailles, d’obtenir qu’ils se confessent dans la semaine qui suit. C’est à la fois marqué par des formules d’une formidable drôlerie (Il n’y avait, au Paradis, pas plus de Cucugnanais que d’arêtes dans une dinde ou l’irrésistible description d’une pécheresse à la cuisse légère tourmentée par le feu éternel : Elle était toute rougeâtre, comme une grenouille trop cuite) et une belle apologie du sacrément de réconciliation, après quoi l’on se sent si propre…
Revenons au film de 1954, qui compte deux réussites et un segment plus faible, et commençons par lui.
C’est Les trois messes basses, où le Démon s’introduit par la ruse dans le corps de Garrigou, le servant de Dom Balaguère, chapelain desservant du château, fou de gourmandise, et lui inspire subrepticement, afin de réveillonner plus vite de truites, gélinottes et dindes truffées, d’expédier les trois rituelles messes basses de la Nativité. Et, pour avoir pêché lui-même, et avoir entraîné ses ouailles dans sa précipitation, Dom Balaguère (Henri Vilbert, plutôt bon) est condamné, avec toute l’assistance, à revivre Noël durant cent années. Peut-être inconsciemment, ce Diable aux yeux qui roulent furibardement (l’inconnu Daxely) souffre de la comparaison avec son prédécesseur dans le rôle, le grand Jules Berry dans les pourtant guindés Visiteurs du soir.
En revanche, L’élixir du Père Gaucher est de bien meilleure venue, d’abord parce que cette histoire de moines prémontrés de Saint-Michel de Frigolet, dans la dèche noire, un peu jaloux du succès des Chartreux, des Bénédictins et des Carmes qui, tous, disposent d’une liqueur qui leur permet de vivre sur un meilleur pied et de faire le bien et qui, par grâce divine (!) héritent une recette admirable d’une vieille pécheresse mais au risque de perdre la tempérance, (sûrement) et l’âme (peut-être) de l’héritier, le brave frère Gaucher, est narquoise et drôle. Puis parce que la communauté est dirigée par un Abbé joué par l’admirable Robert Vattier, onctueux, innocent et roublard tout à la fois. Vattier, c’est M. Brun de Marius, c’est M. Belloiseau, de Manon des sources, c’est un immense comédien qui ne déçoit jamais. Mais la communauté compte d’autres caractères ; elle est modérée par une grande conscience, le père Sylvestre (Christian Lude) qui est excellent, et perturbée par un Gaucher, Rellys, qui en fait beaucoup, mais qui rejoint par l’outrance même de son jeu, le rôle du pauvre Gaucher, contraint par la nature des choses, à s’enivrer tous les soirs pour le salut de sa Communauté !
Et puis Le secret de Maître Cornille, sensible et (un peu trop) joli apologue, de ce meunier fier comme Artaban, désespéré par l’industrialisation de la meunerie, qui, pendant dix-huit ans, va faire le fier, jouer un jeu pitoyable et magnifique, laisser croire à tous qu’il travaille le grain et qu’il l’exporte, alors même qu’il se borne à faire transporter à son âne des sacs de cailloux. C’est doux et tendre, ça se termine trop facilement et trop bien par le retour des villageois, attendris par la révélation du secret, à la saine minoterie artisanale, mais c’est très bien, parce qu’il y a Edouard Delmont, maître Cornille plus vrai que nature, pitoyable et délicieux, un Delmont qu’on n’a jamais vu mauvais…
Bon. Tout cela est tout de même drôlement bien.