Satan existe, au cas où vous l’ignoreriez.
Ce qui intéressant, avec Satan, c’est que sa grande force consiste à faire croire qu’il n’existe pas, comme disait je ne sais plus qui, alors qu’il est si évidemment présent dans tous les replis de notre monde et qu’il resurgit périodiquement en se gaussant bien de ceux qui avaient pu croire qu’il faisait partie des vieilles lunes, entre les sabbats de sorcières sur leur balai et les élucubrations alchimistes.
D’où la force démonstratrice de L’exorciste, à peine corrigée par quelques excès visuels, quelques outrances superflues (les flots de bile (?) rejetés par Reggane, ou, dans la version longue, sa descente d’escalier « en araignée ») qui n’apportent rien.
Ce qui est angoissant, c’est le processus de prise de possession et de dégradation peut-être irréversible, processus qui salit, qui contamine, qui démolit la vie tranquille d’une famille (au sens large : j’inclus domestiques et l’assistante-demoiselle de compagnie, Sharon, mais le livre de Blatty est à cet égard plus explicite), d’une famille indifférente au Mal, qui ne croit ni à Dieu, ni au Diable et se trouve confrontée à l’Epouvante absolue
Ce qui est superbe, c’est le prélude, en Irak du Nord, à deux jets de pierre de la Terre Sainte, l’angoisse du Père Merrin après qu’il a découvert la statuette du Démon, l’horloge qui s’arrête, la voiture lancée à tombeau ouvert dans la ruelle qui manque de le renverser, la bataille de chiens sauvages et, au coucher du soleil la sorte de défi que l’Exorciste reçoit du Démon…
Ce qui est subtil, c’est l’angoisse de Karras, devant sa vocation incertaine, ses doutes et sa culpabilité, c’est le choix de ce colosse à l’âme faible, à la spiritualité douteuse : le Démon connaît bien les défauts de toute cuirasse…
Ce qui est poignant, c’est le mélange entre les grossièretés presque puériles de Satan (dans l’église, les profanations pourraient presque avoir été commises par une bande de galopins satanistes) et sa détermination, son projet rationnel de perdre des âmes : ce n’est pas seulement l’âme de Reggan qu’il veut, c’est celle de tous ceux qui l’approchent et qu’il cherche à contaminer…
Plus que l’excellente Malédiction, plus que le superbe Rosemary’s baby
qui montrent une sorte d’action concertée s’appuyant sur la malfaisance humaine, finalement relativement claire, L’Exorciste
fait éclater la singularité et la puissance protéiforme du Mal.
Appuyé sur une distribution homogène, le film a gardé, trente trois ans après une qualité et une force exceptionnelles ; c’est souvent ce qui se passe quand on ne se moque pas de son sujet.