L’homme du train

Un film aux couleurs d’ombre.

Novembre à la fin du jour, qui tombe tôt en cette saison. Annonay, ville sinistre à l’est du Massif central, frileuse, crasseuse ; 18000 habitants, la ville la plus peuplée du sévère département de l’Ardèche. La gare, qui n’est plus desservie que par un autorail qui se survit à peine. Un homme descend du train, gagne les rues du centre. Il doit être un peu plus de sept heures. Plus un passant, tous les magasins sont fermés. À part, seule lumière dans l’ombre, une pharmacie attardée. L’homme y entre, achète de l’aspirine ; un autre client est là et quitte la boutique. Les deux types cheminent dans les rues vides. Voilà, tout est posé.

Parce que l’un a besoin de dissoudre son cachet d’aspirine dans de l’eau, parce que l’autre n’habite pas très loin, est serviable et surtout veut parler, dans la froide nuit vivaraise, la rencontre incongrue va s’engager. Le premier, c’est Milan (Johnny Hallyday), qui sort de prison et qui est venu pour braquer, avec des complices, une banque de la ville. Un taciturne qui n’a pas dû avoir une enfance facile et a vécu une existence partagée entre petits boulots et incarcération. Le second c’est Manesquier (Jean Rochefort), professeur de Lettres à la retraite, héritier d’une vieille famille bourgeoise et d’une maison surchargée de souvenirs. Un homme qui n’a pas eu d’autre vie que ses cours du lycée local, qui a aimé enseigner la poésie, mais n’a jamais osé aller au delà de sa routine.

Patrice Leconte est un des très rares réalisateurs français chez qui l’on retrouve assez souvent l’esprit de la comédie italienne et qui parvient à glisser des gouttes d’amertume au milieu de ses films, même dans les farces les plus drôles, comme les deux Bronzés ; et plus encore lorsqu’il filme les lassitudes des hommes mûrs qui sont passés à côté de leur vie, qui sont passés à coté de tout, d’ailleurs…. Ce que je dis mérite d’être nuancé, mais on voit bien cela dans des films aussi différents que TandemMonsieur HireLe parfum d’Yvonne voire Les grands ducs ou La fille sur le pont. C’est dire si le sujet de la rencontre entre deux hommes que tout oppose, mais qui ont le sentiment profond, intense et définitif que leur vie est sans issue peut être intelligente.

Milan/Hallyday, chose curieuse, porte le même nom que le Ventura, autre bandit, de L’emmerdeur, mais aussi du héros du roman de Roger Vailland Les mauvais coups très bien adapté par François Leterrier au cinéma. Trois destins, trois conduites d’échec. Il est intéressant de faire le rapport. En tout cas Maresquier/Rochefort a du mal à amadouer ce grand fauve bougon, qui répond à peine aux questions que le vieil homme lui pose, mais accepte son hospitalité.

Après qu’ils se sont un peu frottés l’un à l’autre, que les portes se sont ouvertes, voilà que l’histoire fuit vers l’inéluctable, chacun des deux hommes se résignant à son destin. Pour Maresquier, c’est le triple pontage qui va échouer au moment même où Milan, trahi par ses complices, sera abattu par la police devant la banque qu’il dévalisait. Entretemps, chacun aura un peu goûté aux plaisirs de l’autre : Milan à la poésie, au confort des charentaises, à la chaleur d’une vieille bouffarde ; et Maresquier en tirant au revolver sur des canettes, en poussant sa sœur (Édith Scob) à avouer que son mari est un crétin, à réaliser que sa liaison avec Viviane (Isabelle Petit-Jacques) est une impasse ridicule…

La première fois que j’ai vu le film, en entrant dans la salle, j’étais bien perplexe sur la présence de Johnny Hallyday ; je n’ai jamais supporté ni sa voix, ni ses chansons, ni sa dégaine en chanteur et ses expériences cinématographiques m’avaient paru affligeantes. Et de fait, ni D’où viens-tu, Johnny ? (quoique…c’est si nul que ça en deviendrait touchant…) ni l’atterrant La Gamine ne prédisposait à l’indulgence. Je craignais qu’il en vînt en gâcher la qualité du jeu de Jean Rochefort. J’avais tort : les personnalités des deux acteurs se répondent parfaitement, sans doute d’ailleurs parce qu’elles sont totalement antinomiques, comme le veut le scénario.

Un petit regret, les trois dernières minutes oniriques du film, où chacun imagine ce qui aurait pu être. Trois minutes inutiles.

Le gouffre derrière : votre vie manquée. Le gouffre devant : votre décrépitude et votre mort. (Montherlant dans Brocéliande).

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