Le mythe d’un pacte entre les Puissances des ténèbres et un homme à qui sont accordées jeunesse, puissance, savoir, fortune contre la cession de son âme immortelle est très ancien. L’Antiquité et le Moyen-Âge ont connu des récits ainsi inspirés mais la légende prend vraiment tournure dans le Faustbuch anonyme de 1587. Puis naturellement les deux versions (1808 et 1832) de Goethe et sans doute une grande palette de variations. Au cinéma beaucoup de titres aussi : par exemple La main du diable de Maurice Tourneur (1943), La beauté du Diable de René Clair (1950), le trop méconnu Marguerite de la nuit de Claude Autant-Lara (1955).
Et donc aussi cet Homme qui vendit son âme de Jean-Paul Paulin sorti en pleine Occupation (1943). Notons, pour l’anecdote que le réalisateur fut décoré de la Francisque pétainiste (comme François Mitterrand au demeurant) et encourut un blâme à la Libération ; que tout le monde connaît la dérive collaborationniste du merveilleux Robert Le Vigan ; mais je crains qu’on ait bien oublié la très belle Michèle Alfa, autre vedette du film qui fut la maîtresse du neveu de Joseph Goebbels, responsable, à Paris, du contrôle des théâtres parisiens. Il va de soi que ces orientations ont lourdement pesé, ont tué leurs carrières et les ont conduit à mourir l’un et l’autre dans la misère. C’est peut-être cela aussi, la Main du Diable.
On le sait depuis toujours, le Malin l’est vraiment ; mais il peut aussi se faire duper ou céder devant l’amour. Voilà comme il procède dans le film de Paulin : le séduisant (mais déjà grisonnant) Martial (André Luguet) est le patron d’une banque familiale solide et bien établie auprès des petits épargnants. Amant de Colette (Mona Goya) il ne gère pas ses affaires avec la sagesse de ses prédécesseurs et vit à grandes guides. L’argent lui brûle les doigts et ses besoins et ceux de sa maîtresse l’ont conduit à entreprendre des spéculations scabreuses, au grand dam de Donatien (Jean Périer), son honnête fondé de pouvoirs.
Un jour la catastrophe qui se rapprochait éclate : un consortium international, dirigé par le mystérieux Zacharoff lui brise les reins en Bourse. Panique des épargnants qui assiègent la banque pour se faire rembourser leurs dépôts. Parmi eux l’abbé Lampin (Pierre Larquey), brave curé de banlieue qui a déposé 600.000 francs de dons de ses paroissiens destinés à la construction d’une nouvelle église.
Désespéré Martial va trouver Grégori (Robert Le Vigan), représentant à Paris du consortium Zacharoff, qui lui refuse toute assistance. Le banquier rentre chez lui et entreprend de se suicider au véronal, puissant barbiturique. L’abbé Lampin, mu par on ne sait quelle intuition, survient à temps, mais ne peut, bien sûr arranger la situation.
En revanche se présente le lendemain le sulfureux Grégori qui propose un marché à Martial : Zacharoff créditera la banque de 20 millions par mois à condition expresse que le banquier dépense 1 million par jour pour faire le mal. Même si Martial est plutôt un homme bienveillant et ne peut s’empêcher quelquefois de faire une aumône, il s’habitue facilement à cette nouvelle prospère situation, d’autant qu’il est constamment poussé par le pervers Grégori qui l’accompagne désormais partout.
Un soir, Colette et les deux hommes vont au cabaret ; ils trouvent à la porte une Salutiste, Blanche (Michèle Alfa). Beau jeu malsain de lui proposer de les accompagner dans la boîte moyennant 10.000 francs pour ses œuvres. On comprend tôt que Martial va se prendre de goût pour la jolie jeune femme et qu’elle sera de plus en plus sensible à la compagnie du banquier qui dépense pour elle des sommes folles sans, d’ailleurs, lui demander quoi que ce soit.
C’est là que le film commence à se planter. On aurait aimé, pour sa cohérence, que le Mal ait un peu plus de poids. Un peu paresseusement les péripéties s’enchainent et on comprend assez tôt qu’elles se termineront bien sur l’aveu de l’amour mutuel des protagonistes et la fuite dépitée du vilain Grégori. Mais une fois admis ce happy end, forcément obligé en temps de Révolution nationale, le film est plaisant et les acteurs de qualité. Et puis il est si agréable de retrouver une société policée où l’on parle un bon français, où les domestiques sont empressés et les boîtes de nuit élégantes…