Lola

lola1Archéologie de Jacques Demy

Je n’avais pas revu Lola depuis au moins trente ans, et mon souvenir s’était un peu égaré, du fait vraisemblable et conjugué des gambettes d’Anouk Aimée et de la photogénie de la ville de Nantes, qui est, au demeurant, avec Aix et Bordeaux, une des plus belles cités de France.

Je me vois, après re-vision, amené à baisser de 5 à 4 ma note, mais le film est néanmoins fort intéressant, notamment pour qui est attiré par le cinéma de Jacques Demy, en ceci qu’il permet, à tout le moins, une archéologie de l’œuvre du réalisateur, et qu’il en fixe les tics et les thèmes.

film-lola12Lola est le premier long métrage de Demy et cela se sent, même si c’est la faiblesse du budget alloué par le producteur Georges de Beauregard qui a empêché le cinéaste d’employer la couleur et de réaliser un film davantage dansé et chanté, comme il y parviendra ultérieurement. Pour l’heure, il se fait la main, ses habituels complices aussi, surtout Michel Legrand, qui est encore un peu timide mélodiquement, dont l’immense talent explosera l’année suivante avec Cléo de 5 à 7, filmé par Agnès Varda, compagne de Demy ; il y a trop de musiques additionnelles, dans Lola, du Beethoven (l‘Allegretto de la 7ème symphonie, dont la grandiloquence ne s’impose pas du tout), du Mozart, du Bach : la couleur si particulière, l‘alchimie Demy/Legrand, de ce fait, ne fonctionne pas tout à fait…

Et ne fonctionne pas non plus, pas encore, ce qui donne à Demy sa place si particulière dans le cinéma français : sa capacité à être féérique ; l’histoire de Lola est celle d’un mélodrame outrancier, mais finalement banal : rien de l’audace qui bluffera tous ceux qui iront voir, trois ans après, Les parapluies de Cherbourg, six ans après, les Demoiselles de Rochefort, jumelles enchantées, neuf ans après la fantasmagorie inspirée de Peau d’âne. Lola est un peu fait de bric et de broc, avec des intrigues entrecroisées extrêmement subtiles, intellectuellement stimulantes, pour ceux qui ont décrypté les cheminements compliqués des images diverses de la femme mises en scène, mais n’est pas bien accompli.

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Cela dit, ce qui est donc passionnant, pour les amateurs, c’est de voir en germe le talent du réalisateur : dès la première séquence, sur la jetée de La Baule, on songe au travelling arrière qui ouvre La baie des anges ; dès qu’on aperçoit les marins étasuniens qui sillonnent Nantes on songe à Maxence (Jacques Perrin) des Demoiselles.

Mais c’est davantage encore, pour les habituelles orientations de Demy : Michel (Jacques Harden), le père de l’enfant de Lola qui a fait fortune en Amérique, fait songer à Andy (Gene Kelly) et les rires de gorge d’Anouk Aimée préfigurent ceux de Françoise Dorléac)…

Constance, aussi, de la présence de femmes déjà mûres et encore très belles, veuves, abandonnées, divorcées : Elina Labourdette de Lola, Anne Vernon, des Parapluies, Danielle Darrieux, des Demoiselles ; femmes seules et douloureuses de solitude, transportant leur frustration sur leurs filles : constante absolue, parente avec l’obsession de l’inceste, si présente chez Demy.

En bref, c’est tout de même très bien, malgré mes réticences, qui sont vénielles. Demeurent en tout cas l’élégance de la guêpière d’Anouk Aimée (qui, à mes yeux, manque pourtant d’abattage et de personnalité) et la beauté de Nantes : qui ne connaît pas l’architecture magique du Passage Pommeraye et le décor délicieusement chichiteux de La Cigale, place Graslin, manque, décidément, de bien grandes séductions…

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