Le Lotus bleu de Tintin
Tiré d’un roman du globe-trotter polygraphe Maurice Dekobra (auteur de l’immortelle Madone des sleepings, à la riche destinée cinématographique), Macao, l’enfer du jeu – qui ne présente ni infamie particulière, ni intérêt extraordinaire en soi – est un film anecdotiquement intéressant dans l’histoire du cinéma…
En premier lieu parce que, tourné en 1939 avec un Erich von Stroheim notoirement anti-nazi, il dut, pour sortir sous l’Occupation, être partiellement (re)tourné avec un Pierre Renoir le remplaçant dans le rôle de Werner von Krall.
En second lieu parce que le film plut tant et tant au frétillant Jean Cocteau qu’il y conduisit tous ses amis, sans doute pour les faire profiter de l’exotisme d’une Chine reconstituée à Villefranche-sur-Mer et que, ravi du travail de Jean Delannoy, il forma avec lui le projet de tourner un film, qui serait une histoire éternelle portée aux temps contemporains : et ce fut le mortel ennui de L’éternel retour, transposition moderne du mythe de Tristan et Yseut, fulgurant succès populaire qui lança définitivement la carrière de Jean Marais et du pull jacquard.
Enfin, c’est là un des derniers films tournés par Mireille Balin, pauvre colibri aux allures de femme fatale, qui fut la Gaby de Pépé le Moko et la Madeleine de Gueule d’amour, s’amouracha, durant l’Occupation d’un officier autrichien, s’enfuit avec lui à la Libération, fut violée par des résistants de la onzième heure et finit sa vie en 1968, dans la misère noire, recueillie par La roue tourne, œuvre de charité pour les artistes dans le besoin. Et Delannoy raconte qu’à ses obsèques il fut le seul à représenter le cinéma, alors que Mireille Balin, la plus belle chute de reins de Paris, avait été une immense vedette, et la maîtresse, entre autres, de Jean Gabin et de Tino Rossi… Passons !
L’intrigue de Macao, l’enfer du jeu n’offre pas beaucoup d’intérêt, histoire assez rebattue et prévisible d’un aventurier marchand d’armes, d’une fille facile au bon cœur, de deux jeunes amoureux aussi crétins qu’insupportables et d’un magnat du jeu et des trafics en tout genre, caricaturalement Oriental fourbe et cruel, qui se trouve être, en sus, le père aimant de la crétine amoureuse, et le candidat aux bonnes grâces de la fille facile susvisée. (Je sais que je ne suis pas clair, mais ça n’est pas grave).
Pour autant, malgré d’évidents défauts (mais, parallèlement, c’est bien filmé par le solide Delannoy), le film ne manque pas de charme.
D’abord, c’est vrai, la première image qui vient à l’esprit, c’est celle du Lotus bleu, cinquième aventure de Tintin, cette Chine fantastique de coolies, de pousse-pousse, de Fils du Ciel à longues nattes, de jonques, de pagodes, Chine qui a durablement envahi l’imaginaire des petits Occidentaux ; pour accentuer la ressemblance avec l’oeuvre d’Hergé, on ne peut pas ne pas faire le parallèle entre Tintin et Pierre Milley (le crétin amoureux), joué par Roland Toutain, qui s’était fait une spécialité de reporter bondissant (Rouletabille dans Le mystère de la chambre jaune et Le parfum de la dame en noir) avant de devenir l’agaçant André Jurieux de La règle du jeu.
Puis un dialogue spirituel (de Roger Vitrac, il est vrai) ; à preuve cet échange entre Mireille Balin et Erich von Stroheim : – C’est drôle, on dirait que vous m’attendiez… – On attend toujours la femme qu’on rencontre…
Et enfin, il y a un Erich von Stroheim stroheimisant à l’extrême, dans les saluts militaires marmoréens, les claquements de talon et les raideurs de nuque ; pour lui seul, Macao, l’enfer du jeu vaut qu’on le regarde, cinéma du passé sans grand avenir…