Horreur, grotesque et poésie
La filmographie de ce méconnu Harry Kümel ne me semblait compter de notoire que Les lèvres rouges avec la radieuse Delphine Seyrig en perpétuatrice de la sanglante comtesse Erszebeth Bathory. Il faut donc ajouter au crédit de ce réalisateur belge cette adaptation de son compatriote Jean Ray, maître de l’étrange, si peu servi par le cinéma, hors La cité de l’indicible peur du gugusse Jean-Pierre Mocky …
J’ai revu ce Malpertuis, regardé jadis un peu distraitement.
Et il est vrai que, pour qui aime les atmosphères troubles, pesantes, incompréhensibles, il y a quelques séquences très prenantes et réussies, dont la qualité tient beaucoup aux décors. Ceux de la ville marchande de Flandre, où les façades opulentes du port coexistent avec le lacis de ruelles glacées, silencieuses, secrètes – on devine des cornettes, des couvents, des béguinages – et avec des quartiers populaires à tavernes débordantes sont excellents, mais ceux de la Maison mystérieuse, aux pièces chamarrées et aux couloirs lépreux le sont plus encore, noyés, qui plus est, dans une lumière bistre, presque terreuse, qui accentue les malaises évidents d’emblée ressentis.
La médiocrité fauchée des effets spéciaux, quelquefois à la limite (inférieure !) du ridicule me semble toutefois difficilement supportable (l’aigle dévorant le foie de Lampernisse-Prométhée, les statues en plâtre des dieux déchus). De la même façon, la direction d’acteurs n’est pas satisfaisante ; sans doute Orson Welles s’en sort-il fort bien, mais son rôle n’était pas le plus exigeant ; en revanche des acteurs aussi brillants que Jean-Pierre Cassel ou, plus encore, Michel Bouquet tutoient quelquefois l’outrance et le ridicule (ce qu’on peut fort bien admettre de Mlle Sylvie Vartan). Je crains qu’Harry Kümel, fort jeune à l’époque (30 ans) n’ait pas vraiment maîtrisé ses vedettes.
Cela dit, c’est très honorable, même si l’on rêverait d’avoir de vraies bonnes adaptations du grand maître Jean Ray, à la sonorité fantastique si originale, très oublié aujourd’hui, mais qui a ravi tous les amateurs de littérature marginale lorsqu’il était édité dans la défunte (?) collection Marabout.
Une remarque incongrue : la réunion de tous les protagonistes dans le grand salon de Malpertuis, et Philarète qui joue au bilboquet, m’ont fait irrésistiblement penser, y compris dans les tonalités de lumière au clip remarquable et inquiétant tourné par Bettina Rheims pour la chanson de l’OVNI Désireless qui s’appelait Voyage, voyage : même collection de trognes bizarres, même bilboquet, même ambiance lourde d’inconnu. Mais je doute que quelqu’un ait des lumières là-dessus.