J’ai vu, et je ne suis pas très convaincu ; j’ai regardé Mammuth avec sympathie, sans agacement, hors quelques séquences sur quoi je reviendrai, avec beaucoup d’admiration pour le jeu de Gérard Depardieu, qui n’est pas si souvent que ça, les dernières années, canalisé et maîtrisé, et surtout pour Yolande Moreau, la meilleure actrice française contemporaine avec Sandrine Bonnaire.
Je m’attendais naïvement à ce que Mammuth soit un peu l’équivalent charentais des films de Robert Guédiguian à Marseille ou de Karnaval et Quand la mer monte pour le Nord de la France : voilà des films sensibles et intelligents qui, sans trop appuyer sur les cordes excessives du mélodrame, sans trop jouer à la guerre sociale (bien que certains engagements soient clairs) montrent une réalité en voie de disparition dans le cinéma d’aujourd’hui : le prolo, l’ouvrier, le col bleu, espèce qui n’a absolument, mais vraiment absolument rien à voir avec l’habitant des cités de banlieue (qui n’est pas sans intérêt, hâtons-nous de le préciser avant d’être accusé de je ne sais quoi !) qui est, lui, scruté et disséqué à l’envi.
Ce monde-là est un gisement extraordinaire de situations, d’attitudes et de visages, qui était le quotidien des films de jadis et naguère et qui ne l’est plus, sinon marginalement de nos jours : on peut en tirer infiniment de choses qui résonnent presque immédiatement au cœur de chacun, alors même que tout ce qui est aventure de police, d’espionnage ou de fantasmagorie est perçu, à juste titre, comme largement extérieur à la réalité.
Mammuth commence ainsi, dans une sorte d’hyperréalisme qui fait songer aux merveilleuses enquêtes du magazine Strip Tease mais dérape trop vite dans un onirisme un peu enquiquinant.
Comment expliquer la présence et les apparitions fantomatiques d’Isabelle Adjani qui est plutôt cheveu sur la soupe que cerise sur le gâteau ? On imagine assez bien que les auteurs de Mammuth, Gustave de Kervern et Benoît Delépine dans une spirale de copinage mutuel ont demandé à la star de figurer dans leur film, ne serait-ce que pour mieux convaincre les producteurs de financer leur travail ; et qu’ils se sont ensuite préoccupés de lui trouver une raison d’être : et ça donne ces apparitions oniriques et inutiles où, telle une blanche Ophélia flottant comme un grand lys mort ; (calmons-nous : c’est de Rimbaud) elle apparaît, hiératique et ennuyeuse, comme à son habitude.
Comment ne pas voir les maladresses et les balourdises (Serge – Depardieu faisant les cent pas chez lui) et les curieuses naïvetés qui n’auraient pas eu lieu d’être si les auteurs avaient pris le parti de conter, simplement, la quête d’un brave type à la recherche de bulletins de paye dont il a besoin, et non pas le pseudo itinéraire mental d’un type qui a des comptes à régler avec son passé ?
En bref, à mes yeux, tout ce qui est du côté du réalisme et de la véracité est excellent, tout ce qui prétend s’en dégager est prétentieux. Et ça peut donc se regarder. Mais ça ne vaut pas autant que ça prétendrait aller.