Ce que ça sonne faux !
Je n’ai pas coutume – en tout cas je le fais assez rarement – d’intervenir sur le choix de mes compagnons cinéphiles et de dire tout le mal que je pense du bien qu’ils pensent de certains films. Après tout, vouloir promouvoir ses goûts en traitant ceux des autres de mauvais est une attitude scabreuse et démesurément vaine.
Mais là, je ne peux pas ! Qualifier la maladroite tentative, la pitoyable tentative de Claude Berri de retrouver la magie provençale dans ces deux pauvres opus de « chef-d’œuvre immortel du cinéma français » comme des esprits habituellement mieux inspirés l’ont fait, me fait douter qu’ils aient jamais vu la Provence ou connu des Provençaux !
Que l’on puisse avoir une dilection particulière pour Claude Berri , c’est une affaire ; il n’a pas toujours été maladroit, pas toujours été le lamentable Stan the Flasher de Gainsbourg ou le piteux héros de sa propre Débandade.
Le Vieil homme et l’enfant, c’était bien, Tchao pantin surcôté mais pas mal, et j’ai trouvé qu’il y avait quelquefois du souffle dans son Germinal.
Mais qu’est-ce qui a pris à un fils du Marais, si habile et si tendre dans ses films autobiographiques, d’aller massacrer Pagnol, qui est d’un autre univers, d’une autre tradition ? Qu’on ne voie pas dans ce propos le moindre dégoût de qui que ce soit ; mais Berri adaptant Pagnol, c’est comme si Dino Risi voulait s’inspirer d’un roman de Tolstoï ou de Mishima ! Il ne saurait pas !
D’autant que Pagnol a tourné lui-même l’adaptation de son Eau des collines en 1952 et que si sa Manon des Sources n’évoque que la seconde partie de l’histoire, elle est autrement authentique et réussie !!!
Pagnol, pas plus que Guitry n’est remakable ; à preuve l’atterrante adaptation de l’immortel Schpountz par Gérard Oury ! On se demande si on rêve et le rêve tourne vite au cauchemar.
Une exception, toutefois : les souvenirs d’enfance (que Pagnol n’avait pas tournés) : Yves Robert a su faire de La gloire de mon père et du château de ma mère un pur miracle de grâce et de beauté ; et sa Provence est vraie…
Car dans ce prétendu Immortel chef-d’œuvre, même Montand, originaire de Marseille, parle faux, joue faux, sonne faux; Auteuil, si impeccable d’ordinaire, en fait des tonnes, est mal à l’aise, se ridiculise, là ou Rellys mettait souffrance et dignité… Quant à Depardieu, il a été pire, je vous le concède… mais tout de même…
Reste la jolie nudité d’Emmanuelle Béart, là où la belle Jacqueline Pagnol ne montrait rien… C’est un peu mince pour préférer la copie à l’original…
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Je ne suis pas sûr, par exemple, que les westerns de Sergio Leone soient, à l’aune des amateurs du genre, de « vrais westerns » et que leur européanité, leur italianité, même, ne fassent pas précisément partie de leur qualité intrinsèque, de leur immensité baroque, de leur goût de la dérision, de leur ambigüité.
Mais mon propos était sans doute excessif ; ou alors, il aurait fallu que j’écrive que Berri était un trop médiocre cinéaste pour s’élever au dessus de son petit monde – si respectable et attachant qu’il pouvait être – et atteindre une autre forme d’enracinement, d’atteinte à l’Universel par l’enracinement.
Ce qui a plu aux spectateurs, dans les films de Berri d’après Pagnol, c’est la distribution, les vedettes, Emmanuelle Béart toute nue, les gros moyens, le pittoresque facile et toujours alléchant des cartes postales (si on tourne une histoire analogue en Champagne pouilleuse ou dans la Picardie des betteraves, ça marchera moins…)