C’est qu’à dire le vrai, je ne connaissais que quelques instants de la réplique fameuse Tiens ta bougie…droite !, qui figure dans toutes les anthologies du cinéma français et que je m’imaginais que tout le film était de cette pâte.
C’est-à-dire que je croyais trouver un film baroque, nonsensique, excentrique, décalé, aromatisé par de grands acteurs de second rang. Un divertissement à trognes séduisantes et à bons mots.
C’est beaucoup mieux que ça, c’est très bien. C’est vinaigré, acide, cruel.
Ça m’a fait spontanément songer à deux très très bons films : Meurtres de Richard Pottier et Manèges d’Yves Allégret. La présence de l’inusable amuseur Fernandel dans le premier, la bonne bouille ronde de Bernard Blier peuvent tracer une fausse piste comique alors que ce sont là deux films parmi les plus noirs qui se puissent où la cupidité, l’hypocrisie, la veulerie, l’égoïsme, la méchanceté s’imposent…
Un trait en dessous, Marie-Martine est vraiment drôlement bien et, si ce n’était la mauvaise qualité de la copie DVD, on n’hésiterait pas à le conseiller à tous.
D’abord l’histoire, malgré ses invraisemblances et ses coups de hasard qui surviennent opportunément, est très bien montée et rythmée, sans jamais aucune baisse d’attention, avec les flashbacks qui s’imposent au bon moment. Peut-être pourrait-on reprocher un séquençage un peu simple de certaines interventions d’acteurs magnifiques, Jeanne Fusier-Gir et Saturnin Fabre qui font leur numéro, puis disparaissent de l’écran sans y revenir ; il aurait fallu trouver le moyen de les faire ré-intervenir dans le courant du récit.
Mais c’est véniel, parce que les scènes que l’une et l’autre jouent sont superbes et méritent à elles seules une vision du film : Fusier-Gir en libraire vieille fille frustrée, perfide, doucereuse et médisante, méchante comme une punaise et plus encore Saturnin Fabre, aigri, grognon, atrabilaire, misanthrope à grand cœur désespéré. La fameuse séquence de la bougie ne vaut pas seulement par la réplique archi-connue : elle dure plus de huit minutes qui sont un trésor de qualité, de drôlerie, de rosserie, de tristesse.
Et de dialogues. Car les dialogues de Marie-Martine sont étincelants ; certaines sources en accordent la paternité à Jean Anouilh et non à Jacques Viot, le scénariste (à qui on doit aussi le scénario du Jour se lève). En tout cas, quand les mots qui frappent sont mis dans la bouche de Jules Berry, de Jean Debucourt, de cette peste de Marguerite Deval, ils font mouche à tous les coups.
Petite faiblesse de distribution, ou plutôt faiblesse de contre-emplois : Sylvie, en aveugle très douce et trop bonne, à qui sied mieux d’être coupante et farouche ; Helena Manson, brave fille exploitée par son salopard de père (Berry) et qu’on aime mieux voir en pimbêche agressive plutôt haineuse.
Les amoureux qui survivront aux vicissitudes grâce à un habile subterfuge du récit sont Bernard Blier, et Renée Saint-Cyr (qu’on a pris l’habitude de voir en belle dame d’âge, mais qui a été, donc, une charmante jeune première) ne sont pas mièvres. (Cela dit, c’était à mes yeux un rôle pour Odette Joyeux).
Rien n’est mièvre, d’ailleurs, dans cet excellent film, qui donne du regret que son réalisateur, Albert Valentin, n’ait pas acquis une réputation supérieure.