Marius et Jeannette

Fraternité.

Si Robert Guédiguian est le cinéaste du désenchantement et de la désillusion, il n’est sûrement pas neutre que le premier film qui lui ait valu un réel succès public soit tissé d’une histoire tendre à issue heureuse. Parce que, si l’on n’est pas dans le conte de fées et le caramel sirupeux avec Marius et Jeannette, si la vie est tout aussi dure que dans les ouvrages précédents, aussi marquée par la pauvreté, l’insécurité, la maladie, l’incertitude devant l’avenir, la fin des illusions révolutionnaires, pour une fois, ça tourne plus au sourire qu’à la tristesse ou à la tragédie…

Finalement, c’est que sans doute, pour Guédiguian, la folle espérance collectiviste s’est sublimée en un plus raisonnable repliement sur les bonheurs simples de l’amitié, de la solidarité, de la fraternité… Et lorsque, comme je le fais, on découvre, ou redécouvre, dans l’ordre chronologique des tournages l’œuvre du metteur en scène, on ressent bien que le fait d’employer toujours la même troupe de comédiens est une sorte de tentative d’essayer « jusqu’à ce que ça marche » ; essayer un bout de bonheur, bien sûr, tout simplement, et si tant est que ce soit simple…

La troupe est au complet : Ariane Ascaride, Jeannette, qui se débat pour vivre sans un sou, avec sa grande jolie fille Magali (Laëtitia Pesenti, ravissante) et son petit garçon métis (Miloud Nacer). Le père de la première est parti un jour sans laisser de trace ; le père du second est mort, écrasé par un échafaudage ; et le père de Jeannette avait lui-même été tué par l’explosion d’une chaudière dans la cimenterie où il travaillait (ça fait tout de même beaucoup de malheurs, ça…).

C’est dans la cimenterie, qui est en train d’être démantibulée, détruite, démolie (et pourquoi ? Qui a pris la décision de détruire la cimenterie où est mort mon père ? dit Jeannette), c’est dans ce décor de cadavre minéral que Jeannette rencontre Marius (Gérard Meylan), ouvrier solide, grave, taciturne, devenu vigile pour survivre.

L’histoire amoureuse est de l’ordre de l’évidence, même si le passé n’est pas si facile à dompter, avec ses mauvais souvenirs, la mauvaise ombre qu’il projette sur le présent. Mais on se rend assez bien et vite compte que cette histoire-là est de qualité. Ce qui est bien, c’est que, dans sa douce tranquillité, elle se déroule sur le fond de vie du petit peuple de ces coins de l’Estaque mi-villageois, mi-urbains, où dans un entrelacs de ruelles demeurent des maisons à l’architecture un peu tortueuse, où les habitants se parlent, se disputent, se rendent service, s’engueulent, s’aiment, vivent comme dans une société ancienne, terriblement humaine. Ce petit peuple, c’est le groupe habituel qui suit Guédiguian : Jean-Pierre Darroussin, Pascale Roberts, Jacques Boudet, Frédérique Bonnal… Chacun a sa saveur, son parfum, son caractère, sa personnalité, ses failles et ses forces, son sourire devant l’aridité de la vie…

Et ça donne un film plein de charme et de grâce, même, où Guédiguian, qui n’est pas dupe pour un sou, s’adresse des clins d’œil : dès qu’il y a un journal qui apparaît à l’écran, c’est L’Humanité, ou La Marseillaise (le quotidien communiste local) ou Pif le chien ; et il y a un joli plaidoyer pour la bière française (Fischer) qui conserve des emplois, alors que la bière hollandaise (Heineken) en fait disparaître… Heureux temps où le PC parlait de produire français !

Il y a beaucoup de scènes délicates, intelligentes, agréables ; juste assez de mélancolie, quelquefois, pour que le soleil brille mieux sur la scène suivante. Et des dialogues drôles et efficaces…

Je me sens décidément bien seul à défendre Guédiguian : amis qui n’y avez jamais goûté, vous avez tort !

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