Jusqu’au cou !
Je ne connais pas plus que ça Robert Altman, dont certains font grand cas, tenu pour un cinéaste étasunien atypique, de ça de là un peu maudit, un peu singulier, créatif et souvent incompris…
J’ai vu, il y a vingt ans Short cuts qui m’a bien ennuyé, a remporté un grand succès, mais n’a tout de même pas été ce triomphe qu’a été MASH en 1970, triomphe qui n’a peut-être pas assez dû aux arrière-pensées des professionnels de la critique, ni même aux souhaits explicites de son auteur.
J’essaye là de me remettre dans l’état d’esprit du spectateur que j’ai été en août 1970… Violemment anti Vietcong, j’étais en même temps plus que réservé sur l’action des États-Unis dans un pays où ils n’avaient plus rien à faire. Le présage de la déculottée future et de la longue nuit communiste qui s’est établie sur l’Indochine était sensible, perceptible. Le général de Gaulle avait d’ailleurs dit tout ce qu’on pouvait dire là-dessus dans son discours de Phnom-Penh, le 1er septembre 1966.
MASH est sans doute, sûrement, évidemment, une œuvre militante contre la guerre du Vietnam, s’appuyant pour son récit sur la Guerre de Corée, achevée quinze ans auparavant, ce qui permet la distance critique… C’est aussi un pamphlet contre la Guerre en soi, en présentant des dizaines de corps hachés, sanglants, massacrés. Mais depuis qu’on écrit des livres et fait des films contre la guerre, depuis qu’on en montre et en démontre les horreurs, ça aurait dû s’arrêter, si ça devait se faire. Autant dire, avec Gilles Vigneault que Quand les hommes vivront d’amour, il n’y aura plus de misère. Certes, certes. On n’y est pas.
Paradoxalement, le film d’Altman est, sur ces sujets, bien moins efficace que d’autres, en tout cas bien moins éveilleur de conscience. Non pas parce qu’il est drôle et cynique, mais parce que sa drôlerie, son caractère burlesque détournent l’attention de la misère des corps abimés, dont le sang gicle et dont les ventres sont ouverts.
Ces corps là n’ont pas de substance : ils sont le simple substrat de ce gigantesque et foutraque camp de vacances qu’est l’hôpital militaire de campagne, supports des aventures comiques de ceux qui y opèrent. Voilà, tout de même, une gigantesque colonie de vacances pour adultes, où la rigolade, le sexe, l’alcool, les farces sont à la portée de potes rigolards et malins. Colonie de vacances, cour de lycée, salle de garde d’hôpital, tout cela si l’on veut mixé, mélangé, savoureux… Les petits chefs, les mauvais camarades, les histoires de fesses.
On me passera peut-être colonie de vacances et cour de lycée, mais les esprits graves et moraux me chipoteront sur le caractère comique de l’hôpital. Pourtant, lorsqu’on regarde un film aussi daté que Un grand patron d’Yves Ciampi (1951), on n’est pas loin d’une atmosphère qui, parce qu’elle est continuellement sous tension, rend obligatoire un certain détachement des praticiens en même temps que la virtuosité de leurs gestes chirurgicaux.
Le générique de début de MASH marque idéalement la distance qu’Altman a voulue : les hélicoptères géants apportent leurs cargaisons de mourants sur un fond musical de tendre balade, la même mélodie qui sera chantée lors du faux suicide du dentiste Waldowski (John Schuck). Et immédiatement après, alors que « Œil de lynx » Pierce (Donald Sutherland) et « Duke » Forrest (Tom Skerritt) volent habilement une jeep, une bagarre éclate sur des airs de musique martiale triomphante.
Distance et hiatus. C’est ce qui fait le sel du film, composé de sketches souvent très percutants (le micro qui capte le son des ébats du cagot capitaine Burns (Robert Duvall) et de la psychorigide infirmière-chef (Sally Kellerman), le dévoilement de la même infirmière surprise sous la douche), quelquefois moins (la trop longue partie de football américain).
Film singulier, tout de même ; irrespectueux, goguenard, truqueur, mais réussi. Un cinéma mal identifiable…