Agréablement imprévisible
Je pensais, en regardant ça, tomber sur un agréable nanard des années Cinquante, que sauverait – à mes seuls yeux – la bienveillance habituelle que je déploie à qui mieux-mieux pour les œuvrettes françaises de cette période ; en d’autres termes, je ne voyais pas trop qui ça pouvait intéresser, à part les fondus de mon genre. Eh bien, j’ai, dès les premières images, été agréablement surpris par l’intéressant cynisme de l’anecdote et la (relative) imprévisibilité du scénario.
Tout cela se passe aux derniers mois avant la Grande Guerre ; c’est un parti-pris assumé, on danse sur un volcan… et la dernière image du film est celle d’un quotidien glissé sous une porte : à Sarajevo, l’Archiduc François-Ferdinand vient d’être assassiné ; on est donc au lendemain du crime, le 29 juin 1914, mais, évidemment, on ne se rend pas bien compte de tout ce qui va se passer durant tout le mois de juillet, jusqu’à la déclaration de guerre du 3 août…
Donc, on est à la Belle époque, et les personnages sont assez vite ciselés : Maxime Cherpray (Charles Boyer) est un homme du monde léger, élégant, raffiné, mais que sa désinvolture même, sa paresse sans doute, et une certaine veulerie de caractère ont conduit sinon au dénuement, du moins à la dèche ; il vit du souvenir de ses belles années, de parasitisme, mais aussi et surtout de la mensualité et des cadeaux en nature que lui alloue Hubert de Tréffujean (Félix Marten), trentenaire affairiste qui gagne beaucoup d’argent, est doté d’un infernal culot, adore les jolies femmes et charge son ami Maxime, contre rétribution, donc, de les lui…préparer (parce qu’il n’a pas le temps, parce qu’il sait que sa vitalité un peu brutale peut les effaroucher, parce qu’il juge que c’est plus commode…).
Ce sont donc là deux assez tristes cocos, assez louches et peu regardants sur les moyens ; mais enfin ! leur bonne humeur les rend presque sympathiques. Et puis ce monde futile, léger, insouciant où l’on soupe chez Maxim’s et où les vieux marcheurs protègent les petites ouvrières peu farouches est d’apparence si féerique !
La proie prochaine guettée par Tréffugean est une très jolie veuve, Jacqueline Monneron (Michèle Morgan) qui est libre mais apparemment vertueuse. Au bout de plusieurs péripéties vaudevillesques, évidemment Maxime en tombe vraiment amoureux et Jacqueline commence à très fort répondre à un sentiment qui flatte sa sensibilité et la délicatesse de son esprit…
Seulement, patatras ! Un nouveau coup de théâtre démasque la vie assez peu reluisante qu’a vécue Maxime, ses expédients et surtout son rôle de facilitateur de Tréffugean. Et parallèlement, Tréffugean se révèle drôle, fervent, plein de vie et d’enthousiasme, capable d’une vitalité qui, malgré une certaine vulgarité de manières, finit par séduire Jacqueline….
C’est en fait cela, qui est intéressant : le retournement de la situation, la déconfiture des évidences qui auraient voulu que Maxime fût rédimé par un bel amour pur…
C’est amusant, bien enlevé, bien joué, ça vaut beaucoup mieux que l’apparent oubli dans quoi ce film du jeune Verneuil est tombé…