Messieurs les ronds-de cuir

affich_28331_1Paléontologie administrative.

Alors que le cinéma français a filmé les milieux sociaux les plus singuliers, les plus rares, les plus bizarres, il me semble qu’il s’est fort peu penché sur le monde des fonctionnaires (j’excepte, naturellement de cette observation, l’école et la police).

Il est vrai que la littérature n’est pas plus curieuse, à la notable exception des Employés de Balzac, roman rare et peu lu, d’une grande cruauté sociale, et de plusieurs contes de Maupassant ; mais Zola, pourtant si attaché à dresser de la société du second empire un tableau complet, a négligé ce filon…

Bien entendu, j’exclue aussi de cette recension les récits qui se passent dans les proches allées du Pouvoir, rutilant miroir aux alouettes, du type du Bon plaisir de Francis Girod ou du Promeneur du Champ de mars de Robert Guédiguian : non, j’évoque l’univers plus quotidien de la fonction publique et le seul souvenir qui me vienne en tête est le duo d’Yves Robert, Un éléphant, ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis où Étienne Dorsay (Jean Rochefort) est un cadre de haut niveau dans un ministère.

Sinon, loin de cela, qui n’est, dans l’intrigue, que secondaire, qu’est ce qui reste, sinon la charge féroce, partiale et hilarante de Georges Courteline ?

Que le trait soit forcé et la caricature outrancière, c’est bien l’évidence… mais c’est aussi drôle qu’injuste, aussi bien observé que forcé jusqu’au bout. Dans la Direction des Dons et Legs, réceptacle vaseux de toute l’inanité que peut porter l’Administration est rassemblée une collections de fous, plus ou moins furieux (Letondu –Philippe Clay) bénins (Gorguchon – Jean Parédès) ou répugnants (le père Soupe – Lucien Baroux) ; trônent au dessus de ces inutilités sociales, le Directeur, Conseiller d’État, du nom de Nègre (Pierre Brasseur), libidineux, cossard, gluant et, un degré au dessous, La Hourmerie (Noël-Noël), le chef de bureau, affairé, geignard, parcimonieux.

Se jouant de cette collection d’incapables, le parasite Lahrier (Jean Poiret qu’on ne voit au bureau qu’un jour sur quatre, et qui fait la vie dans les beuglants, où il est acoquiné avec Gaby (Micheline Dax), très bien, pleine d’abattage et de séduction ; des vicissitudes et des rencontres de tout ce monde-là et d’un ahuri provincial (Michel Serrault) naît toute l’intrigue, qui ne vaut pas tripette… sauf lorsqu’elle permet quelques mots assez drôles et rosses sur la vie de bureau (On nous paye pour enrayer la marche des affaires qui, sans nous, marcheraient très bien)…

À la notable exception de l’immonde Jean Richard, aussi grasseyant, graveleux et ridicule que de coutume, la distribution est appropriée, amusante et bienvenue et le rythme assez enlevé. Mais il ne faut pas oublier que ce film de 1959 est censé se dérouler sous le bonhomme septennat d’Armand Fallières, en 1906. Ça commence tout de même à pas mal dater…

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