La fortune anonyme et vagabonde.
Découvrant ce film, je vais me ranger davantage du côté de ceux qui marquent des réticences que de ceux qui le portent au pinacle, dont je suis navré de ne pas partager la ferveur !
Henri Verneuil fut un excellent artisan de la mise en scène, auteur de films solides et honnêtes, du Fruit défendu au Clan des Siciliens, en passant par des œuvres qui approchent l’excellence, comme Le Président, Un singe en hiver ou Mélodie en sous-sol. Il lui est venu sur le tard l’idée de faire mieux qu’il ne savait faire et de devenir une conscience ; d’où in fine, la jolie nostalgie des origines arméniennes – qui fut un bide total – de Mayrig et de 588 rue Paradis, d’où, un peu auparavant, le gratouillis politique d’I comme Icare et de Mille milliards de dollars.
Il est vrai que la dénonciation de la malfaisance des multinationales, quoiqu’elle soit assez sommaire et caricaturale (comme d’ailleurs dans Le sucre – 1978 – ou dans Une étrange affaire – 1981 -) est sacrément pertinente et bienvenue.
Ou, plus exactement, qu’elle était fort bienvenue à une époque (1982) où l’on pouvait encore penser que ces fortunes anonymes et vagabondes n’avaient pas encore gagné la partie et qu’il y avait, selon une expression convenue, une autre politique possible). Vue aujourd’hui, où les désastres s’accumulent et où rien ne paraît retarder la course à l’abîme, la constatation est amère : quelques mots de l’article de Paul Kerjean (Patrick Dewaere) que dactylographie sa femme (Caroline Cellier) l’expriment fort bien : Les multinationales cherchent à broyer les frontières, les États et les intérêts collectifs ; à l’heure où elles y sont parvenues, ce rappel s’impose. Et il n’y a rien de communiste là-dedans (on n’est pas du tout dans le registre Prolétaires de tous les pays, etc.).
Mais une fois cela dit, on est tout de même un peu atterré devant l’extraordinaire médiocrité théâtrale des dialogues (écrits par Verneuil, lui-même, je crois et je crains) qui comptent parmi les pires que j’aie jamais entendus et qui parviennent à placer en porte-à-faux des acteurs aussi remarquables que Patrick Dewaere, Fernand Ledoux ou André Falcon ; difficile de décerner un bonnet d’âne de la réplique tant il y a de nombreux ratages : Nous avons déjà raté notre mariage, essayons de ne pas rater notre divorce (Dewaere à Cellier, naturellement), Ce n’est plus un achat, c’est ce qu’on appelle un pot-de-vin ! (Jean-Pierre Kalfon – absolument remarquable, soit dit en passant – à Patrick Dewaere) et les mots de la fin, de Patrick Dewaere : Je vais essayer de rejoindre la race des humains. Viens vite.
Dialogues atterrants, mais aussi invraisemblance des situations : que Kerjean parvienne, en saisissant un revolver opportunément scotché sous une table à se débarrasser du grand professionnel Jean-Pierre Kalfon est déjà fort de café ; mais que son reportage-choc sur la multinationale GTI soit diffusé dans L’écho de Vesons est à hurler de rire ; imagine-t-on une grande enquête pleine de révélations dangereuses révélée au public par le Petit bleu des Côtes-du-Nord, L’éveil du Valentinois ou L’abeille industrieuse de la Thiérache ? Il y a des limites aux contes de fées…