Mondo cane 2, qui date de 1963 semble avoir été confectionné au moins pour partie avec des chutes de pellicule de Mondo cane, dont le succès, l’année précédente, avait été tonitruant et scandaleux. De fait, le deuxième film recèle beaucoup moins de ces images extraordinairement surprenantes et poétiques de son aîné et on sent, ici et là, du remplissage.
Quand j’écris images poétiques, il ne faut pas se leurrer : ces images n’ont rien de sentimental, encore moins de champêtre. Elles font plutôt songer à l’aphorisme célèbre des Chants de Maldoror, beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie. Et à Lautréamont plus qu’à Lamartine. On y côtoie l’insolite, le choquant, le morbide, la répulsion y jouxte la fascination horrifiée (je recommande, dans ce second volume, la dégustation, au Mexique, riche terre de mort omniprésente, de tortillas aux punaises vivantes, tenues pour un régal affriolant).
Mais donc, dans ce Mondo 2, on cherche en vain les admirables vues de cimetières – immergé en Malaisie, momifié à Rome – qui faisaient le charme du Mondo 1. Et si mon hypothèse d’utilisation de séquences rejetées au montage était vérifiée, il ne faut pas s’étonner de trouver davantage de violence, s’il est possible et un mépris plus grinçant sur la nature humaine, ses folies, ses aberrations, ses méchancetés.
On connaît l’argument de base : commentaire (écrit par François Chalais) sur le ton décalé, narquois, ironique qui se veut complice avec le spectateur, d’images pêchées dans tous les pays du monde, censées être toutes issues de films documentaires – et qui le sont pour une bonne partie – montrant toutes sans exception des horreurs, des saletés, des ridicules, des folies.
Montage vif, rythmé, habile, racoleur sautant d’un continent à l’autre, d’une société primitive à une communauté opulente. Foules hystériques, économie de la misère, pratiques masochistes, dolorisme animiste, chrétien ou hindou, sordide cabaret de travestis, flamants roses intoxiqués par les rejets d’une usine, combats à mort d’oiseaux ou de poissons les uns et les autres subtilement dressés à tuer, obscènes retraité(e)s étasuniens se trémoussant, du côté d’Honolulu et tâtant en frémissant de volupté les biceps autochtones…
Petit exemple du bon goût et de la roublardise du film : on voit les retraités suscités prendre des bains d’une boue qu’on devine tiède, pasteurisée et, naturellement, censée avoir une action bienfaisante sur leurs articulations… et immédiatement on passe en Afrique où les femmes masaïs bâtissent leurs maisons en malaxant un torchis de glaise et de bouse de vache. Effet garanti.
Un petit tour au Vietnam, l’immolation d’un bonze par le feu, un marché d’esclaves à Aden où des gamines africaines de 12 à 14 ans demi-nues sont tâtées par les mains de connaisseurs et, dans le même coin, une fabrique d’enfants estropiés et le procès de leurs bourreaux (tiens ! on ne leur demande pas réparation, à ces esclavagistes-là ?), le dépeçage d’un crocodile vivant sur les bords d’un lac du Tanganyka… Crocodile qui, lorsqu’il est la seule chair consommée, stérilise, paraît-il, les hommes, ce qui fait que l’on garde soigneusement pour le seul rejeton mâle de la tribu la grosse carpe dorée qu’on est parvenu à pêcher…
Est-ce vrai ? Est-ce inventé ? Images truquées, images réelles s’entremêlent, insolites quelquefois, répugnantes presque toujours… Toujours est-il que la série des Mondo a eu une riche postérité.
D’abord des mêmes Jacopetti et Prosperi un film sur l’Afrique d’antan, qui disparaissait alors à grande allure et, quittant les charges de la colonisation voyait s’ouvrir d’autres soucis (Africa addio 1966). Puis la réussite louche du délicieux Cannibal holocaust. Et des films comme Le projet Blair witch doivent aussi beaucoup aux Mondo.
Le monde est une scène ; il suffit de bien braquer la caméra.