Il y avait bien longtemps que je n’avais pris autant de plaisir devant un de ces nanards français, un de ces petits films bien de chez nous qui étaient à l’affiche des petites salles de quartier et qui réunissaient, les samedis soirs, un public populaire qui ne demandait qu’à se détendre. Tout cela avant de rentrer dans son cinquième étage sans ascenseur ni commodités, les toilettes étant, comme de juste, sur le palier. Voilà, dans Monseigneur, la conjonction filmée très réussie du brave petit populo parisien, volontiers révolutionnaire, grognon mais bon vivant et de la haute société qui, en 1949, existe encore un peu dans son apparat figé, sédimenté mais civilisé et extrêmement bien élevé.
Par quel miracle, cela ? Celui d’un scénario funambulesque et très amusant et qui pourtant ne manque pas de grincer un peu, de façon intelligente. Voilà que, de façon tout à fait inopinée, fortuite, le professeur d’histoire Pietremont (Fernand Ledoux) croit distinguer en Louis Mennechain (Bernard Blier), serrurier de son état, serrurier de père en fils et serrurier bien content de l’être, le descendant en ligne directe de Louis XVII, l’enfant martyrisé de la prison du Temple. Louis XVII qui est présumé être mort en juin 1795, victime des mauvais traitements de la République, qui avait déjà assassiné son père Louis XVI et sa mère Marie-Antoinette.
Il y a des tas de gens qui depuis 225 ans, imaginent, croient, se figurent que le jeune garçon a pu survivre aux traitements qu’on lui a fait subir en prison. Des tas de gens et des tas de faux Dauphins qui, de tout temps ont pensé qu’il y avait eu une substitution, suivie d’une évasion, que la Raison d’État avait couverte. J’en a connu plusieurs, qui s’appellent des survivalistes et qui ne sont, évidemment, jamais d’accord entre eux. Et puis quelle importance, à vrai dire ?
De ce marécage nostalgique et inoffensif, l’excellent Roger Richebé (déjà metteur en scène du délicieux Habit vert) adapte un roman assez malin, narquois et une histoire amusante. Donc le professeur Piétremont/Ledoux a repéré en Mennechin/Blier le descendant des Rois de France. L’histoire qu’il présente s’édifie sur de réelles structures historiques et a tous les caractères de la véracité. Le brave serrurier, qui n’a jamais eu beaucoup d’ambition et végète dans le petit atelier de serrurerie où il est employé par Bouafre (Yves Deniaud) et lorgné par Anna (Marion Tourès), la fille du patron est naturellement interloqué par la nouvelle qui lui est apprise : il est le Roi légitime de la France. Et ceci alors qu’il est un bon républicain, et même un homme aux idées avancées un peu poussé en cela par Tatave (Gabriel Gobin), son camarade de travail, communiste de service.
Mais être reconnu héritier de la Couronne par la haute société, bénéficier de ses largesses et de son abondance, être reçu dans des châteaux magnifiques pour des dîners fastueux, et séduire la belle duchesse de Lémoncourt (Nadia Gray), voilà qui fait tourner la tête. Au fait, Nadia Gray, vous ne voyez pas qui c’est ? Rappelez-vous la femme chic qui fait un strip-tease assez torride dans La dolce vita de Federico Fellini ; c’est elle ? c’est elle ! Et donc le brave Louis, si à l’aise dans sa brave pâte de milieu, qui, lors du repas de ses fiançailles avec Anna chante Mimosas, une de ces chansons nunuche qui faisaient l’ordinaire de ces moments de plaisir simple, se laisse griser ; jusqu’à ce que son mentor et révélateur Piétremont lui indique qu’il a manigancé toute l’affaire pour pouvoir bénéficier des largesses de la naïve aristocratie française. Tout rentre dans l’ordre, Louis revient à Anna… Mais pourquoi a-t-il, de famille, hérité le portrait du pauvre petit Dauphin ? L’incertitude demeure…
Toujours est-il que Monseigneur est un film charmant avec plein d’acteurs agréables ; outre ceux cités plus avant, il y a Maurice Escande, Yves Deniaud, Paul Frankeur et quelques autres qui ont. formé la trame du cinéma modeste des années passées. C’est plein de réparties rigolotes, du genre détesté par les féministes (Les serrures, c’est comme les gonzesses : c’est souvent les plus compliquées qui vous donnent le plus de mal) ; c’est plein de petits détails qui nous font mesurer l’écart entre notre monde et celui d’alors (l’apéritif – du vin rosé éventé – servi dans des verres à dents essuyés avec des serviettes de toilette). et peut-être, ce qui donne de la nostalgie, l’installation dans une fête foraine, d’une baraque qui présente aux quidams les personnages de la Révolution ; allez demander de nos moments, qui sont Fouquier-Tinville, Santerre ou le cordonnier Simon ; en 1949, tout le populo savait ça…